Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de petits mots à double entente, d’allusions inintelligibles, et se mit à réfléchir sur ses affaires compliquées, et sur le résultat probable de la prochaine audience du roi, qui lui avait été procurée par un agent si singulier, et par des moyens si inattendus. Souvent il jetait les yeux sur son guide, Fenella ; et il observait qu’elle était presque toujours plongée dans une profonde et abstraite méditation. Mais trois ou quatre fois, lorsque les grands airs et l’importance affectée du musicien et de la dame étaient d’une exagération extravagante, il vit Fenella diriger obliquement sur eux quelques-uns de ces regards amers qui, dans l’île de Man, passaient pour être, de la part du prétendu lutin, l’expression de la haine et du mépris. Il y avait quelque chose de si extraordinaire dans toutes les manières de la jeune fille, dans sa subite apparition, et dans sa conduite en présence du roi, qui avait si bizarrement mais si efficacement contribué à lui procurer une audience particulière, dont peut-être il eût vainement sollicité la faveur par un moyen plus sérieux, que tout cela justifiait presque l’idée, absurde d’ailleurs (il le savait bien), que ce petit agent muet était aidé dans ses machinations par les esprits familiers auxquels la superstition, dans l’île de Man, rattachait sa généalogie.

Une autre idée se présentait aussi quelquefois à Julien ; quoiqu’il la rejetât comme tout aussi ridicule que l’opinion suivant laquelle Fenella était suspecte d’appartenir à une race différente de la race mortelle. Était-elle réellement affligée de ces imperfections d’organes qui toujours avaient semblé la séparer de l’humanité ? Si cela n’était pas, quels avaient pu être les motifs capables de porter une créature si jeune à s’imposer une si cruelle pénitence pendant un espace de temps si long ? Combien devait être puissante la force d’esprit d’un être qui avait pu se condamner lui-même à un sacrifice si terrible, et combien grave et profond devait être le dessein qui l’y avait déterminé.

Mais un souvenir rapide des événements passés suffit pour lui faire rejeter cette conjecture comme absurde et sans fondement. Il n’avait qu’à rappeler à sa mémoire les différents tours joués par son joyeux compagnon, le jeune comte de Derby, à cette malheureuse fille, les conversations tenues en sa présence, et dans lesquelles le caractère d’une créature si irritable et si sensible était toujours librement et quelquefois amèrement attaqué, sans qu’elle manifestât la plus légère émotion de ce qu’on disait