Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/376

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assez long-temps pour mettre son projet à exécution, Christian essaya de préparer les voies en consultant Chiffinch, que son habileté bien connue pour les intrigues de cour rendait propre à donner le meilleur conseil en cette occasion. Mais ce digne personnage étant de fait le pourvoyeur des plaisirs de Sa Majesté, et pour cette raison fort avant dans ses bonnes grâces, pensa qu’il était du devoir de sa charge de suggérer un autre plan que celui sur lequel Christian venait le consulter. Son avis fut qu’une jeune personne d’une beauté aussi rare qu’on lui dépeignait Alice était plus digne de partager les affections du monarque joyeux, dont le goût en fait de charmes féminins était si exquis, que de devenir la femme de quelque homme de cour ruiné par ses dissipations. Ensuite, rendant parfaitement justice à son propre mérite, il sentit qu’il ne perdrait absolument rien dans l’estime publique, et que sa fortune s’en trouverait fort bien à tous égards si, après avoir un moment régné comme les Gwyn, les Davis, les Robert et autres, Alice Bridgenorth passait du rang de favorite du roi à l’humble condition de mistress Chiffinch.

Après avoir adroitement sondé Christian, et s’être assuré que la perspective de son propre intérêt l’empêchait de reculer devant cet infâme projet, Chiffinch le lui exposa dans le plus grand détail, se gardant bien toutefois de lui en faire pressentir le dénoûment, et peignant la faveur dont allait jouir la belle Alice, non pas comme un caprice passager, mais comme le commencement d’un règne aussi long et aussi absolu que celui de la duchesse de Portsmouth, dont l’avarice et le caractère altier paraissaient alors fatiguer le roi, quoique la force de l’habitude le rendît incapable de se délivrer du joug.

Ainsi présentée, la pièce que l’on montait n’était plus une manœuvre d’entremetteur de cour, un vil complot pour la ruine d’une jeune fille innocente ; elle devenait une intrigue politique tendant à écarter une favorite qui gênait, et à déterminer par suite un changement dans l’esprit du roi sur divers objets importants, à regard desquels il était influencé par la duchesse de Portsmouth. Ce fut sous ce point de vue que le projet fut présenté au duc de Buckingham, qui, soit pour soutenir sa réputation de hardiesse en fait de galanterie, soit pour satisfaire un caprice passager, avait autrefois fait la cour à la favorite régnante, et s’était vu repoussé d’une façon qu’il n’avait jamais pu lui pardonner.