Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/372

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ne le requièrent, Dieu et les hommes t’en demanderont compte. — Sois sans inquiétude, » répondit Christian ; et il sortit, agité par des réflexions d’une nature peu agréable.

« J’aurais dû lui persuader de s’en retourner, » dit-il en mettant le pied dans la rue. « Sa seule présence à Londres peut déranger le plan d’où dépend mon élévation future, et celle de sa fille aussi. Les hommes diront-ils que j’ai causé sa perte, lorsque je l’aurai élevée au poste brillant de la duchesse de Portsmouth, et peut-être mise à même de devenir mère d’une longue postérité de princes ? Chiffinch s’est engagé à me procurer une occasion favorable, et la fortune de ce voluptueux dépend de son adresse à satisfaire les goûts de son maître pour la variété. Si elle fait impression, il faut que cette impression soit profonde ; et une fois établie dans les affections du prince, je ne crains pas qu’on la supplante. Que dira son père ? Mettra-t-il, en homme prudent, sa honte dans sa poche, parce qu’elle sera bien dorée ? ou jugera-t-il convenable de faire parade d’une fureur morale, et de déployer la rage d’un père outragé ? Cette dernière conjecture est la plus probable. Il a toujours suivi une ligne de conduite trop sévère pour autoriser une telle licence. Mais à quoi servira sa colère ? Dans tout cela je n’ai pas besoin de me mettre en évidence : ceux qui s’y trouveront n’auront pas grand souci du ressentiment d’un puritain campagnard. Et, après tout, ce que j’entreprends est ce qu’il y a de mieux pour lui, pour cette petite, et surtout pour moi, Édouard Christian. »

Telles étaient les basses réflexions par lesquelles ce misérable cherchait à étouffer le cri de sa conscience, tandis qu’il travaillait à déshonorer la famille de son ami, et à perdre sa proche parente, remise avec confiance entre ses mains. Le caractère de cet homme n’était pas d’une trempe commune, et ce n’était pas par une voie ordinaire qu’il était parvenu à cet excès d’égoïsme ignoble et dénaturé.

Édouard Christian, comme le lecteur s’en doute bien, était le frère de ce William Christian, qui avait principalement contribué à faire passer l’île de Man sous l’autorité de la république, et qui, pour ce fait, était devenu victime de la comtesse de Derby. Ils avaient reçu tous deux une éducation puritaine ; mais William ayant embrassé la profession des armes, la sévérité de ses opinions religieuses en fut quelque peu modifiée. Édouard, livré à l’étude des lois, professait les principes de sa croyance avec la