Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/357

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l’homme à projets, au regard mystérieux, promettant des richesses intarissables à quiconque voudrait lui fournir préalablement la petite somme nécessaire pour changer en or des coquilles d’œufs. Plus loin était le capitaine Seagull[1], entrepreneur d’une colonie étrangère, et tenant sous le bras la carte de l’Inde ou de l’Amérique, pays aussi beaux, aussi enchanteurs que l’Éden, et n’attendant que des colons intrépides, pour qui un généreux patron consentirait à équiper deux brigantins et une flûte. Là se tenaient également des joueurs de toute espèce : celui-ci, jeune, léger, gai en apparence, fils sans souci de l’esprit et de la folie, qu’on eût dit plutôt dupe que fripon, mais, au fond du cœur, aussi fin, aussi rusé, aussi froid dans ses calculs que ce vieux professeur de jeux son voisin sexagénaire, aux traits durs, aux yeux affaiblis par les veilles et par la continuelle occupation de suivre les dés, et dont les doigts agiles secondaient au besoin l’habileté avec laquelle il prévoyait les chances. Les beaux-arts, il faut bien le dire, avaient aussi quelques-uns de leurs représentants parmi ce groupe sordide. On voyait là le pauvre poète qui, malgré l’habitude, à demi honteux du rôle qu’il allait jouer, et doublement humilié tant par le motif qui l’amenait que par son vieil habit noir râpé, se tenait dans un coin, guettant le moment favorable pour présenter sa dédicace. L’architecte, mieux vêtu, rêvant frontispice et aile de bâtiment, préparait le plan d’un nouveau palais dont la dépense devait conduire à l’hôpital celui qui le ferait construire. Entre tous les autres se distinguait le musicien ou le chanteur qui attendait Sa Grâce pour recevoir en or bien réel le prix des accords harmonieux qui avaient charmé le banquet de la nuit précédente.

Tels étaient, avec beaucoup d’autres encore, les personnes qui attendaient le lever du duc de Buckingham, tous vrais descendants de ces filles de la sangsue, dont le cri continuel est « Donnez ! donnez[2] ! »

L’appartement du duc en contenait d’autres de caractères très-différents, et qui offraient autant de variétés que ses opinions et ses goûts. Outre un grand nombre de jeunes gens nobles ou riches, qui faisaient de Sa Grâce le miroir d’après lequel ils se paraient pour la journée, et qui apprenaient de lui à courir avec

  1. Seaest le nom de la mer, et gull veut dire tout à la fois mouette oiseau de mer et tromper. Ici le mot Seagull pourrait se rendre par Goéland. a. m.
  2. Allusion à ce passage de l’Écriture sainte : La sagesse a deux filles qui disent toujours : Apporte, apporte. Proverbes ch. 30, v. 15. a. m.