Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/346

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sonne ne doit connaître les moyens que je me propose d’employer. » En parlant ainsi, Chiffinch secoua d’un air de prudence sa tête que le vin étourdissait déjà.

L’infâme dessein que cette conversation mettait au jour, et dont Alice Bridgenorth paraissait être l’objet, comme Julien le devina, fit une telle impression sur lui, qu’il ne put réprimer un mouvement involontaire, et sa main se porta sur la garde de son épée.

Chiffinch entendit le bruit que fit Peveril en changeant de posture. « Paix ! s’écria-t-il, malédiction ! quelque chose a remué ! J’espère que cette histoire n’a pas frappé d’autres oreilles que les vôtres ! — Je coupe le cou à quiconque a avalé une seule syllabe de tes discours, » dit le courtisan ; et, prenant un flambeau, il parcourut la salle dans tous les sens. Ne voyant rien qui lui donnât occasion d’exécuter sa menace, il replaça la lumière et continua :

« Eh bien ! en supposant que la belle Louise de Querouaille[1] tombe du haut rang qu’elle occupe dans le firmament, comment reconstruirez-vous la conspiration renversée ? car, sans quelque conspiration, penses-en ce que tu voudras, vous n’avez point de changement à espérer, et les choses resteront sous une favorite protestante ce qu’elles étaient sous une favorite papiste. Le petit Antoine ne peut pas faire beaucoup de chemin sans sa conspiration ; car, je crois en mon âme et conscience qu’elle est de son cru. — Qui que ce soit qui l’ait inventée, répondit Chiffinch, elle a été pour lui un enfant de belle espérance. Eh bien donc, quoique ceci s’écarte de la ligne de mes opérations, je veux bien jouer encore le rôle de saint Pierre, et avec une autre clef je vous ouvrirai la porte de ce paradis mystérieux. — À présent tu parles comme un brave garçon : aussi vais-je de mes propres mains faire sauter ce nouveau bouchon. Buvons au succès de ton entreprise. — Eh bien donc, » continua le communicatif Chiffinch, « vous savez qu’ils avaient depuis long-temps une dent contre la vieille comtesse de Derby. On lui envoya Ned, qui a un vieux compte à régler avec elle ; et on lui donna de secrètes instructions pour s’emparer de l’île, s’il en voyait la possibilité, par le moyen de quelques-uns de ses anciens amis. Il a toujours eu soin de l’entourer d’espions ; et il pensait avec délice que l’heure de la vengeance était prête à sonner pour lui. Mais il manqua son coup, et la vieille, étant sur ses gardes, se trouva bientôt à son tour en

  1. Une des maîtresses de Charles II, qui en fit une duchesse. a. m.