Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/344

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et je la boirai super naculum[1]. Mais que direz-vous de la grande dame ? — Opposée à tout changement, le petit Antoine[2] n’en peut rien faire. — Son influence se réduira donc à rien. Mais écoutez », dit-il en se penchant à son oreille, « vous savez… » et il parla si bas, que Julien ne put rien entendre.

« Si je le connais ? répondit l’autre, si je connais Ned de l’île[3] ? oui, certainement ! — Eh bien, c’est lui qui rattachera les deux cordes du violon. Souvenez-vous que je l’ai dit ; et de nouveau, je bois avec vous à sa santé. — C’est pour ce motif que j’y bois avec toi, dit le jeune seigneur ; autrement, je ne te ferais point raison, attendu que je regarde Ned comme une espèce de drôle. — D’accord, milord, d’accord : c’est un drôle complet, un drôle des plus fieffés ; mais un drôle habile, un drôle utile, et indispensable pour cette affaire. Mais, diable ! je crois que ce Champagne devient plus fort à mesure qu’il vieillit. — Écoute-moi, estimable Tom, dit le courtisan, je voudrais que tu me donnasses quelques éclaircissements sur tout ce mystère. Tu le connais, je le sais ; car à qui se fierait-on, si ce n’est à l’honnête Chiffinch ? — Cela vous plaît à dire, milord, » répondit Smith, à qui nous donnerons désormais son vrai nom de Chiffinch ; « vous plaisantez, » ajouta-t-il avec la gravité d’un ivrogne à qui de copieuses libations avaient rendu la langue un peu épaisse. « Peu de gens savent plus de choses que moi, et en parlent moins, Conticuere omnes[4], comme dit la grammaire. Tous les hommes devraient apprendre à se taire. — Excepté avec un ami, Tom ; tu ne seras jamais un dogue assez mal apprivoisé pour refuser une confidence à un ami. Tu deviens trop prudent et trop politique pour l’emploi que tu occupes. Allons, ce secret fera crever ton gilet de paysan. Ouvre un bouton, Tom, c’est pour l’intérêt de ta santé ; ouvre ton âme, et apprends à ton ami ce qui se médite. Tu sais que je suis autant que toi dévoué au petit Antoine, s’il peut prendre le dessus. — Si ! lord infidèle, s’écria Chiffinch. Est-ce à moi que vous parlez de si ? Il n’y a ni si ni mais dans cette affaire, la grande dame sera abaissée d’un cran, et le complot rehaussé de deux. Ne connaissez-vous pas Ned, l’honnête Ned ? il a la mort d’un frère à venger.

  1. L’auteur a sans doute voulu dire naviculam, nacelle ou supernans, surnageant, au lieu de naculum, qui ne se trouve pas dans les lexiques. L’interlocuteur prétend qu’il viderait la coupe, fût-elle aussi grande qu’une nacelle. a. m.
  2. C’est-à-dire, Shaftesbury, politique intrigant de l’époque. a. m.
  3. Ned pour Édouard. a. m.
  4. Tous firent silence. (Virg. Én. liv. II, v. 1) a. m.