Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/341

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reste. « Vous entendrez ce que ces élégants diront, ajouta l’aubergiste ; mais je crois que vous n’en tirerez pas grand profit ; car, lorsqu’ils ne parlent pas français, ils ont une espèce de jargon de cour qui est diablement difficile à comprendre. »

Le petit cabinet dans lequel on introduisit Julien était à peu près, à l’égard de la salle publique, ce qu’est à une ville rebelle la citadelle destinée à l’observer. Tous les samedis au soir l’hôte s’y tenait à l’abri des regards de ses buveurs, mais ayant la facilité de voir ce qui pouvait leur manquer, de surveiller leur conduite et de recueillir leurs discours, habitude dont il ne se départait jamais ; car il était de cette nombreuse classe de philanthropes pour qui les affaires des autres sont aussi importantes que les leurs, sinon davantage.

Ce fut là qu’il mit Julien, en lui renouvelant la recommandation de ne parler ni remuer, et lui promettant de lui apporter bientôt une tranche de bœuf froid avec un pot d’ale brassée chez lui. Puis il le quitta, ne lui laissant d’autre lumière que celle qui venait de la grande salle par des fentes ménagées pour donner à l’hôte la facilité de voir ce qui s’y passait.

Cette situation, qui eût été fort incommode dans toute autre circonstance, était précisément celle que Julien eût choisie. Il s’enveloppa dans le grand manteau de Lance, auquel le temps avait fait plus d’un outrage en variant à l’infini les nuances de sa couleur primitive, qui était vert-lincoln ; puis, gardant le plus grand silence, il se mit à observer attentivement les deux personnages qui s’étaient emparés à eux seuls de toute la salle destinée ordinairement au public. Ils étaient assis devant une table couverte des choses les plus recherchées, des mets les plus exquis : tout cela préparé par les soins de l’habile Chaubert, et ils faisaient dignement honneur à ce qui leur était servi.

Julien se convainquit sans beaucoup de peine que l’un des deux voyageurs était, comme il l’avait conjecturé, le maître dudit Chaubert, l’homme que Ganlesse appelait Smith. Quant au second personnage assis en face, Peveril ne l’avait jamais vu : il était mis avec toute l’élégance du temps. Comme il voyageait à cheval, sa perruque n’avait guère plus de dimension que celle de nos modernes jurisconsultes ; mais les parfums qui s’en exhalaient à chaque instant se répandaient dans cette salle peu habituée à des odeurs de si bon ton et qui ne connaissait guère que celle du végétal vulgaire nommé tabac. Son habit était galonné suivant la