Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/339

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celui qu’elle avait considéré du même œil que le marin voit un port dans lequel il peut entrer si le temps devient menaçant, fut pour elle un second coup douloureux, qui suivait de bien près son exclusion de la maison du major.

Julien alla voir l’inconsolable gouvernante, dans l’espoir d’obtenir d’elle quelques renseignements sur les projets de Bridgenorth relativement à sa fille, sur le caractère de ce Ganlesse, et sur diverses particularités que son long séjour dans la famille avait pu lui faire connaître. Mais il la trouva dans un tel état de trouble, qu’elle ne put lui donner les explications qu’il désirait. Elle ne pouvait se rappeler le nom de Ganlesse, celui d’Alice la faisait tomber en syncope, et quant à celui de Bridgenorth, il lui donnait des accès de fureur. Faisant l’énumération des nombreux services qu’elle avait rendus à la famille : « Ils s’en repentiront, » s’écria-t-elle du ton d’un oracle ; « déjà je vois leur linge mal blanchi, la volaille mal soignée, la maison mal tenue ; sans compter la langueur où pourra fort bien tomber miss Alice, maladie funeste dont peut résulter sa mort ; elle qui m’a coûté tant de veilles, tant de soins ! » Puis passant sans s’arrêter à un autre sujet qui touchait aussi son cœur, elle parla du départ de Lance-Outram avec une sorte de dépit, moitié riant, moitié pleurant, et s’exprima d’un ton si dédaigneux sur le compte de ce pauvre garçon si borné, que Julien reconnut aisément qu’un tel sujet n’était pas propre à la calmer, et qu’à moins de rester plus long-temps que ses affaires ne le lui permettaient, il n’était pas probable qu’il trouvât mistress Deborah dans une situation d’esprit assez tranquille pour lui fournir quelques renseignements utiles et raisonnables.

Lance-Outram, qui était assez bonne âme pour s’imputer à lui seul l’aliénation mentale de dame Debbitch, ou plutôt son accès de passio hysterica[1], avait aussi trop de délicatesse pour se présenter devant cette victime de la sensibilité. Il fit donc avertir Julien, par son adjoint Rough-Ralph, que les chevaux étaient à la porte et que tout était prêt pour le départ.

Julien ne se le fit pas redire : ils montèrent à cheval et s’avancèrent au grand trot dans la direction de Londres, mais non par la route la plus ordinaire. Peveril calculait que la voiture dans laquelle on emmenait son père marcherait lentement ; et son dessein était d’arriver à Londres avant lui, si cela était possible,

  1. Latin que les médecins traduisent par hystérie. a. m.