Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/317

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Elle s’est réfugiée sur son rocher, et elle s’y croit en sûreté comme l’aigle dans son aire après sa curée sanglante ; mais la flèche de l’oiseleur peut encore l’atteindre : l’arc est bandé, le trait est prêt, et l’on verra bientôt lequel l’emportera d’Amalek ou d’Israël. Quant à toi, Julien Peveril, pourquoi te le cacherais-je ? tu es cher à mon cœur comme le premier-né au cœur d’une mère : je te donnerai donc, aux dépens de ma réputation, peut-être même au risque d’attirer sur moi le soupçon (car qui peut se flatter d’y échapper dans un temps de troubles ?), je te donnerai, dis-je, des moyens de t’évader, ce qui, sans mon secours, te serait impossible. L’escalier de cette tourelle conduit dans les jardins. La poterne est ouverte ; sur la droite sont les écuries, où tu trouveras ton cheval. Prends-le sans perdre de temps, et rends-toi à Liverpool. Je te remettrai une lettre pour un de mes amis, auquel je te recommanderai sous le nom de Simon Simonson ; tu passeras pour un homme persécuté par les prélats, et il facilitera ta sortie hors du royaume. — Major Bridgenorth, je ne veux pas vous tromper, répondit Julien ; si j’acceptais l’offre que vous me faites de la liberté, ce serait pour la faire servir à un objet plus important qu’à celui de ma conservation personnelle. Mon père est en danger, ma mère plongée dans la douleur ; la nature et la religion m’ordonnent de rester à leurs côtés. Je suis leur unique enfant, leur seule espérance : je les défendrai, ou je périrai avec eux. — Tu es fou ! reprit le major ; tu ne peux les sauver : quant à périr avec eux, tu le peux ; tu peux même accélérer leur ruine, car les accusations dont ton malheureux père est déjà chargé ne seront pas peu aggravées quand on saura que, tandis qu’il projetait d’appeler aux armes les catholiques et le haut clergé du Derbyshire et du Cheshire, son fils était l’agent secret de la comtesse de Derby ; qu’il l’aidait à maintenir sa forteresse contre les commissaires protestants, et qu’il était envoyé par elle pour établir des relations secrètes avec les papistes de Londres. — Voilà deux fois que vous m’accusez d’être l’agent de la comtesse, » dit Peveril qui voulait éviter que son silence pût être interprété comme un aveu, quoiqu’il sentît fort bien que l’accusation n’était pas sans quelque fondement. « Quelle preuve avez-vous de ce fait ? — Afin de vous montrer que je connais tout le mystère, reprit Bridgenorth, je vous répéterai les derniers mots que vous adressa la comtesse, lors de votre départ du château de cette femme amalécite. « Je suis une pauvre veuve délaissée, vous dit-elle, et le malheur m’a rendue égoïste. »