Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/312

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de celui qui la lui faisait, et il tressaillit en reconnaissant, entre la calotte de velours et la fraise plissée, la figure de Ganlesse, son compagnon de voyage. Il l’envisagea plusieurs fois, surtout lorsque tous les convives eurent pris place autour de la table, et qu’il put sans inconvenance le considérer avec attention. D’abord il douta, croyant que sa mémoire le trompait ; car la différence de costume était telle, qu’elle devait produire un changement considérable dans la physionomie et dans la tournure. D’ailleurs, le visage de cet homme n’avait rien de remarquable ; c’était une de ces figures dont on garde à peine le souvenir : cependant les circonstances de sa rencontre avec lui avaient été assez singulières pour produire une forte impression sur l’esprit de Julien. Les traits de l’inconnu lui revinrent donc à la mémoire : il l’examina de manière à s’assurer qu’il ne s’était point mépris.

Pendant toute la durée d’un très-long bénédicité, prononcé par une personne qu’à son rabat de Genève et à son pourpoint de serge, Julien prit pour le président de quelque congrégation de non-conformistes, il remarqua que Ganlesse observait le même air de réserve et de gravité qu’affectaient les puritains, mais qu’en tout il n’était qu’une caricature complète, et qu’il semblait contrefaire leur pieuse attitude. Ses yeux étaient levés vers le ciel, et son chapeau à bords rabattus et à haute forme, qu’il tenait entre ses mains, s’élevait et s’abaissait, comme pour marquer les cadences de la voix de l’orateur. Cependant, lorsque le bruit ordinaire de gens qui se placent à table eut cessé, et que chacun fut assis à son aise, les yeux de Julien rencontrèrent ceux de l’étranger, et il lui fut aisé d’y lire une expression satirique de mépris, qui laissait voir combien cet étalage de gravité lui semblait ridicule.

Julien chercha de nouveau ses regards, afin de s’assurer qu’il ne s’était point mépris sur leur expression passagère ; mais l’étranger ne lui en offrit pas la possibilité. Il aurait pu encore le reconnaître au son de voix ; mais il parla peu, et ce ne fut qu’à voix basse, imitant en cela tous les autres convives, qui avaient réellement l’air d’assister à des funérailles plutôt qu’à un banquet.

Les mets étaient simples, quoique abondants ; et par conséquent ils devaient, d’après l’opinion de Julien, avoir peu d’attrait pour un homme si recherché dans son goût pour la bonne chère, et si capable de jouir scientifiquement des talents de son ami Smith. Aussi remarqua-t-il que tout ce qu’on servit à Ganlesse