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cette décadence de fortune, sorte de dégradation pour lui. La première, c’est que les opinions politiques du major commençaient, sur beaucoup de points, à sympathiser avec les siennes. Ses principes, comme presbytérien, l’empêchaient d’être ennemi prononcé de la monarchie, et le procès et l’exécution du roi l’avaient douloureusement affecté. Comme homme civil et comme propriétaire, il craignait le gouvernement militaire, et quoiqu’il ne désirât nullement de voir Charles II rétabli sur le trône par la force des armes, cependant il en était arrivé à croire que le moyen le plus sûr et le plus désirable de terminer les grandes révolutions qui avaient agité l’Angleterre, était d’y ramener l’héritier des Stuarts, à des conditions telles qu’elles pussent assurer au peuple les immunités et les privilèges pour lesquels le long parlement avait d’abord combattu. Réellement, les idées du major sur ce point se rapprochaient si fort de celles de son voisin, qu’il s’en fallut de bien peu que sir Geoffroy, toujours mêlé aux conspirations royalistes, ne l’entraînât dans la malheureuse insurrection de Penruddock et de Groves, qui éclata du côté de l’Ouest, et dans laquelle la majeure partie des presbytériens se joignirent au parti royaliste. Quoique sa prudence habituelle l’eût préservé de ce danger et de plusieurs autres, le major Bridgenorth fut regardé, pendant les dernières années de la domination de Cromwell et pendant l’interrègne qui les suivit, comme un homme contraire à la république et partisan de Charles Stuart.

Mais, outre ces rapports d’opinions politiques, un autre lien d’intimité unissait les deux familles. Le major Bridgenorth, si heureux pour tout ce qui concernait la fortune, eut à subir dans sa famille de fréquentes et douloureuses épreuves, et il devint un objet de pitié pour son voisin, quelque déchu que fût celui-ci de sa grandeur passée. Pendant l’intervalle qui s’écoula entre la guerre civile et la restauration de Charles II, il perdit successivement six enfants, par suite d’une faiblesse de constitution qui les enleva à cet âge où ils commencent à devenir si chers au cœur d’un père et d’une mère.

Au commencement de l’année 1658, il ne restait au major Bridgenorth aucun enfant. Vers la fin de cette même année, il eut une fille, il est vrai ; mais sa naissance fut achetée par la mort d’une femme chérie, dont la vie avait été épuisée par les chagrins de l’amour maternel, et par la pensée accablante que les enfants qu’elle avait perdus tenaient d’elle cette faiblesse de constitu-