Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/290

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le paya par un picotin d’avoine ; et, tandis que son coursier s’empressait d’y faire honneur, il se promena au grand air pour se rafraîchir le sang et la tête encore échauffée par le souper de la veille et réfléchir au chemin qu’il prendrait afin d’arriver au château de Martindale avant le coucher du soleil. D’après la connaissance générale qu’il avait du pays, il se flattait qu’il ne s’était pas beaucoup écarté de la véritable route, et, comme les forces de son cheval étaient réparées, il espérait terminer son voyage avant la fin du jour.

Sa résolution arrêtée, il revint à l’écurie, sella et brida son cheval, et le conduisit dans la cour de l’auberge. Déjà il avait la main sur la crinière et le pied gauche dans l’étrier, quand la voix de Ganlesse se fit entendre. « Quoi ! maître Peveril, est-ce là la politesse que vous avez rapportée de vos voyages dans les pays étrangers ? Est-ce en France que vous avez appris à prendre ainsi congé de vos amis ? «

Julien tressaillit comme un coupable ; mais un moment de réflexion lui suffit pour reconnaître qu’il n’avait aucun tort et qu’il ne courait aucun danger. « Je craignais de vous déranger, dit-il. Cependant j’ai été jusqu’à la porte de votre chambre ; mais j’ai supposé qu’après notre débauche d’hier soir, vous et votre ami aviez plus besoin de repos que de politesses cérémonieuses ; moi-même j’ai quitté mon lit avec plus de peine qu’à l’ordinaire quoiqu’il fût passablement dur, et comme mes affaires m’obligent à me remettre en chemin de bonne heure, j’ai cru qu’il valait mieux partir sans prendre congé de vous. J’ai laissé un souvenir à mon hôte sur la table de sa chambre. — C’était tout à fait inutile, répondit Ganlesse ; le coquin est déjà plus que payé. Mais votre projet de partir n’est-il pas un peu prématuré ? J’ai dans l’idée que maître Julien Peveril ferait mieux de me suivre à Londres que de se diriger d’un autre côté, quel que soit son motif. Vous avez déjà pu vous apercevoir que je ne suis pas un homme ordinaire, et que je sais me rendre maître des circonstances. Quant à l’extravagant avec qui je voyage, et auquel je tolère ces prodigalités, il a aussi son mérite. Mais vous êtes d’une trempe différente, et je voudrais non seulement vous servir, mais même vous attacher à moi. »

Julien contemplait avec étonnement le singulier personnage qui lui parlait ainsi. Nous avons déjà dit que tout était mesquin dans sa figure et sa tournure, et qu’il n’avait rien de remarquable