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s’échappait de quatre plats d’argent, fermés par quatre couvercles de même métal. Trois sièges étaient préparés pour les convives. À côté de la table en était une autre petite, du genre de celles qu’on appelle servantes, sur laquelle on avait dressé plusieurs flacons de cristal, qui élevaient leurs longs et gracieux cous de cygne au-dessus des verres. Un brillant couvert était aussi placé devant chaque convive ; et un petit nécessaire de maroquin garni d’argent étalait plusieurs petites bouteilles contenant les sauces les plus recherchées que l’art culinaire ait jamais inventées.

Smith, qui occupait la place inférieure, et qui paraissait agir comme président du festin, fit signe aux deux voyageurs de prendre place et de commencer. « Je n’attendrais pas le temps de dire un bénédicité, s’écria-t-il, fût-ce pour sauver de sa ruine une nation entière. Tous les réchauds du monde seraient inutiles, et Chaubert lui-même n’est rien, si ces mets ne sont mangés à l’instant même où il vient de les servir. Découvrons donc, et voyons ce qu’il nous a préparé. Oh ! oh ! un pâté de pigeons, un canard sauvage, de jeunes poulets, des côtelettes de venaison, et un espace vide au milieu. Hélas ! il est encore humide d’une larme tombée des yeux de Chaubert ; c’était là que devait être la soupe d’écrevisses. Il faut en convenir, le zèle du pauvre diable est mal récompensé par un salaire de dix louis par mois. — C’est une bagatelle, dit Ganlesse ; mais de même que vous, Will, il sert un maître généreux. »

Le repas commença donc, et quoique Julien eût vu souvent son ami le comte de Derby et d’autres seigneurs élégants affecter de grandes connaissances dans l’art de la cuisine, quoique lui-même ne fût pas ennemi des plaisirs de la table, il reconnut en cette occasion qu’il n’était qu’un pur novice. Ses deux compagnons, et principalement Smith, semblaient se regarder comme occupés de l’affaire la seule vraie, la seule importante de la vie, et ils y apportaient l’exactitude la plus minutieuse. Découper la viande de la manière la plus scientifique, l’assaisonner de la manière la plus convenable, avec tout le soin qu’un chimiste y eût apporté ; observer rigoureusement l’ordre dans lequel chaque plat devait succéder à l’autre, et faire pleine justice à tous, c’était une science de détails à laquelle Julien avait été complètement étranger jusqu’alors.

Ganlesse enfin fit une pause, et déclara que le souper était ex-