Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/272

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pour peu que nous suivions la même route pendant quelque temps encore, il est vraisemblable que nous souperons ensemble comme nous avons dîné. »

On ne pouvait s^exprimer plus nettement. Julien ne répondit pas, et continua de marcher, en cherchant dans son esprit si le meilleur parti à prendre ne serait pas d’en venir à une explication claire et franche, qui pût faire comprendre à son opiniâtre compagnon que son bon plaisir était de voyager seul. Mais les rapports qu’ils avaient eus ensemble pendant le dîner le faisaient répugner singulièrement à se comporter de la sorte envers un homme dont les manières étaient celles d’une personne distinguée. Il était possible aussi qu’il se trompât sur le caractère et les intentions de ce personnage ; et, dans ce cas, repousser grossièrement la société d’un honnête et sincère protestant, ce serait donner autant matière au soupçon que de voyager de compagnie avec un jésuite déguisé.

Après quelques réflexions de ce genre, il résolut de supporter la société de l’étranger jusqu’à ce qu’il se présentât une occasion favorable de s’en débarrasser, et d’agir, en attendant, à son égard, avec autant de circonspection que possible ; car l’avis que lui avait donné dame Whitecraft était toujours présent à son esprit, et il devait craindre par-dessus tout d’exciter le soupçon, puisque les conséquences de son arrestation devaient nécessairement le mettre hors d’état de servir son père, la comtesse et le major Bridgenorth, aux intérêts duquel il avait également promis de veiller.

Tandis que ces différentes idées se succédaient dans son esprit, nos voyageurs avaient fait plusieurs milles en silence ; ils entrèrent bientôt dans un pays beaucoup moins riche, dont les routes étaient plus mauvaises que celles qu’ils avaient trouvées jusque-là, car ils approchaient de la partie montueuse du Derbyshire. Le cheval de Julien, en passant sur un terrain inégal et pierreux, broncha plusieurs fois, et il serait certainement tombé s’il n’eût pas été retenu par la main habile de son cavalier.

« Les temps actuels commandent aux voyageurs de grandes précautions, monsieur, dit l’étranger ; et à la manière dont vous êtes en selle et dont vous tenez les rênes de votre cheval, vous paraissez le comprendre. — Je suis habitué depuis long-temps au cheval, répondit Peveril. — Et aux voyages aussi, monsieur, je le suppose : car, d’après la circonspection que vous observez, vous semblez croire que la bouche de l’homme a besoin d’un mors