Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/267

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ment laissé effrayer par la vieille orthographe et les lettres gothiques, reprit l’étranger. Il en est de même de beaucoup d’écoliers qui prennent une noisette facile à casser pour une balle qui doit leur briser les dents. Mais vous savez mieux employer les vôtres : vous offrirai-je de ce poisson ? — Non, » répondit Julien, qui n’était pas fâché de prouver qu’il possédait quelque érudition ; « Je suis de l’avis du vieux Caïus[1], je pense qu’il faut se battre quand on ne peut faire autrement, et ne pas manger de poisson. »

L’étranger jeta autour de lui un regard inquiet à cette observation, que Julien avait risquée pour découvrir, s’il était possible, la véritable qualité de son compagnon, dont le langage était si différent de celui qu’il avait tenu chez le maquignon Bridlesley. Quoique ses traits fussent assez ordinaires, pour ne pas dire communs, sa physionomie avait cet air d’intelligence que l’éducation donne à la figure la moins agréable ; et ses manières étaient si naturelles, si aisées, qu’elles prouvaient clairement une grande habitude de la société, et de celle même du plus haut rang. Le trouble qu’il avait manifesté à la réponse de Peveril ne fut que passager, et presque au même instant il lui dit avec un sourire : « Je vous assure, monsieur, que vous ne vous trouvez pas en dangereuse compagnie ; car, malgré mon dîner maigre, je suis très-disposé à goûter de votre mets savoureux, si vous voulez bien m’en servir. »

Peveril servit donc à l’étranger ce qui restait des œufs au lard, et il le vit en avaler une bouchée ou deux avec une certaine apparence de plaisir. Mais un moment après il se mit à jouer avec son couteau et sa fourchette, comme quelqu’un dont l’appétit est satisfait ; puis il but un grand verre d’ale, et tendit son assiette à un gros dogue qui, alléché par l’odeur du dîner, était venu se poster devant lui depuis quelque temps, se léchant le museau, et suivant de l’œil chaque morceau qu’il portait à sa bouche.

« Tiens, mon pauvre garçon, lui dit-il, tu n’as pas mangé de poisson, et tu as plus besoin que moi de ce superflu ; je ne puis résister plus long-temps à tes muettes supplications. »

Le chien répondit à cette courtoisie par un mouvement très-poli de la queue, tandis qu’il avalait en toute hâte ce qui lui était si obligeamment offert, car il entendait la voix de sa maîtresse à la porte.

  1. Nom d’un médecin français, personnage d’un drame de Shakspeare. a. m.