Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/246

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noble dame de Latham-House, en exposant le fils de mon amie aux périls que devait braver le mien. Mais je suis une pauvre veuve délaissée, Julien, et le malheur m’a rendue égoïste. — Au nom du ciel, ne parlez pas ainsi, madame : c’est agir d’une manière bien moins digne de la dame de Latham-House, que de prévoir des périls qui peuvent ne point exister, et qui, s’ils existent réellement, sont beaucoup moins à craindre pour moi que pour mon noble parent. Adieu ! que toutes les bénédictions du ciel vous accompagnent, madame ! Rappelez-moi au souvenir de Derby, et faites-lui mes excuses. J’attendrai vos ordres à deux heures après minuit. »

Tous deux prirent affectueusement congé l’un de l’autre ; la comtesse surtout ne put le quitter sans lui donner des marques d’une tendresse toute maternelle, car la générosité naturelle de son cœur ne lui permettait pas d’oublier qu’elle exposait Peveril à la place de son fils.

Julien se retira dans son appartement solitaire. Un domestique lui apporta, quelques instants après, du vin et des rafraîchissements, auxquels il fit honneur malgré les graves préoccupations de son esprit. Mais lorsque cette réfection indispensable fut terminée, ses pensées, comme assoupies un moment, reprirent leur cours impétueux, de même qu’on voit les flots de la mer refluer vers le rivage. Se rappelant le passé, cherchant à pénétrer l’avenir, ce fut inutilement qu’enveloppé de son manteau il se jeta sur son lit et s’efforça de dormir : la perspective incertaine qu’il avait devant lui, ses inquiétudes sur la manière dont Bridgenorth pouvait disposer de sa fille pendant son absence, la crainte que le major ne tombât lui-même au pouvoir de la vindicative comtesse, mille autres vagues appréhensions l’agitèrent au point que le sommeil lui devint impossible. Tantôt il s’étendait sur un grand fauteuil de bois de chêne, écoutant le bruit des vagues qui venaient se briser sous ses fenêtres, ou le cri de l’oiseau de mer ; tantôt il se promenait à pas lents dans la chambre, s’arrêtant parfois pour regarder la mer qui semblait sommeiller sous l’influence de la pleine lune, et dont les flots brillaient d’un éclat argenté. Ce fut ainsi que le temps s’écoula pour lui jusqu’à une heure après minuit ; l’heure qui suivit se passa dans l’attente inquiète du signal de son départ.

Il l’entendit enfin : un léger coup frappé à la porte, et suivi d’un murmure sourd, lui fit soupçonner que la comtesse avait