Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/242

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tralement opposées et inconciliables ; car, quoique fils de cavalier, quoique élevé dans la famille de la comtesse de Derby, il était lui-même, par principe, ennemi des prérogatives de la naissance ou du rang, et ami de la liberté du peuple. Ces considérations firent taire en lui les scrupules du point d’honneur, bien que sa conscience lui murmurât tout bas que le langage conciliateur de sa lettre eût été dicté principalement par la crainte qu’en son absence le major ne fût tenté de faire changer de résidence à sa fille et de l’éloigner assez pour qu’il ne pût la revoir aisément.

Après avoir cacheté sa lettre et l’avoir mise à l’adresse de mistress Debbitch, il sonna son domestique, et lui ordonna de la porter dans une maison du village de Rushin, où l’on déposait les paquets et les messages destinés à la famille de Black-Fort. L’ayant fait monter à cheval sur-le-champ, il se débarrassa ainsi d’un homme qui eût été en quelque sorte l’espion de tous ses mouvements. Alors il quitta son habillement ordinaire pour se revêtir d’un habit de voyage ; puis il prépara sa valise, et prit pour armes un excellent sabre à deux tranchants et une bonne paire de pistolets, qu’il eut soin de charger à doubles balles. Ces dispositions faites, il mit dans sa bourse vingt pièces d’or, serra dans un portefeuille les traités que lui avait données la comtesse, et attendit ses derniers ordres pour partir.

L’espérance et l’enthousiasme de la jeunesse, refroidis un moment par l’effet des circonstances pénibles et douteuses dans lesquelles il se trouvait placé, autant que par l’idée de la privation à laquelle il allait être condamné, reprirent alors toute leur énergie. Son imagination, se détournant des prévisions funestes, lui fit voir qu’il allait entrer dans la vie active au moment d’une crise où les talents et le courage devaient presque à coup sûr faire la fortune de celui qui en donnerait des preuves. Pouvait-il débuter sur le bruyant théâtre de la société d’une manière plus honorable que comme représentant, comme défenseur de l’une des plus nobles maisons de l’Angleterre ? Et, s’il parvenait à remplir une telle mission avec la résolution et la prudence nécessaires à sa réussite, combien ne pouvait-il pas se présenter de circonstances où sa méditation serait utile à Bridgenorth, et qui lui fourniraient ainsi le moyen d’acquérir honorablement des droits à la reconnaissance du major et à la main de sa fille ?

Au milieu de ces riantes idées, il ne put s’empêcher de s’écrier : « Oui, Alice, je veux te conquérir noblement ! » À peine ces mots