Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/222

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major du même ton de froideur ; « vous êtes venu ici d’Holm-Peel sans dessein, ma fille est sortie de Black-Fort pour se promener, et le hasard sans doute a voulu cette rencontre près de la pierre de Goddard-Crovan ? Jeune homme, ne vous dégradez pas par de telles justifications, elles sont plus qu’inutiles. Et vous, jeune fille, que la crainte de perdre un amant a pu conduire presque jusqu’à dévoiler ce qui eût compromis la vie d’un père, retournez à Black-Fort. Là je vous parlerai plus à loisir, et je vous enseignerai la pratique de ces devoirs que vous semblez avoir oubliés. — Sur mon honneur, monsieur, dit Julien, votre fille n’est nullement coupable de tout ce qui peut vous avoir offensé ; elle a résisté à toutes les offres que la violence inconsidérée de mon amour m’a poussé à lui faire. — En deux mots, dit Bridgenorth, je ne dois pas croire que ce soit d’après la demande spéciale d’Alice que vous êtes venu dans ce lieu écarté, n’est-ce pas ? »

Peveril ne savait que répondre, et le major fit de nouveau signe à sa fille de se retirer.

« Je vous obéis, mon père, » dit Alice, qui avait eu le temps de revenir de sa terreur, « je vous obéis ; mais je prends le ciel à témoin que vous êtes plus qu’injuste envers moi si vous me croyez capable de trahir vos secrets, lors même qu’il s’agirait de sauver ma vie et celle de Julien. Je sais fort bien que vous marchez dans une route dangereuse ; mais vous le faites les yeux ouverts, et vous pouvez apprécier la valeur de vos motifs. Mon seul désir était d’empêcher ce jeune homme de s’exposer aveuglément à ces mêmes périls ; et j’avais le droit de l’avertir, puisque les sentiments qui l’égarent se rapportent directement à moi. — C’est bien, jeune fille, dit Bridgenorth ; vous avez dit ce que vous vouliez, retirez-vous, et laissez-moi finir l’entretien que vous avez si prudemment commencé. — Je m’éloigne, monsieur, dit Alice ; Julien, c’est à vous que s’adresseront mes dernières paroles, dussé-je en les prononçant exhaler mon dernier soupir : adieu, soyez prudent. »

Alors elle les quitta, s’enfonça dans le taillis et disparut.

« Véritable échantillon de l’espèce féminine ! » s’écria son père en la suivant des yeux ; « ce sont bien là les femmes : elles risqueraient la cause des nations, plutôt que de mettre en danger un cheveu de la tête de leur amant. Et vous, monsieur Peveril, vous êtes sans doute de son avis, vous pensez que le meilleur amour est celui qui n’est point entouré de périls ? — Si je n’avais que des