Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/219

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par un prêtre ; et la troisième nous verra fuir loin de cette île, pour aller sur le continent chercher une meilleure fortune. »

Mais tandis qu’il parlait ainsi, dans l’espoir d’obtenir le consentement qu’il implorait, Alice avait retrouvé toute sa résolution, déjà presque ébranlée par le langage de son amant, la force de son propre attachement, et la singularité de sa situation, qui semblait justifier en elle ce qui aurait été blâmable dans une autre.

Le résultat de cet instant de réflexion fut fatal aux projets de Julien. Se dégageant tout à coup des bras qui la retenaient encore, elle se leva et repoussa les tentatives que faisait son amant pour se rapprocher d’elle ; puis, d’un ton de simplicité et de dignité, elle lui dit :

« Julien, je me suis toujours doutée que je courais beaucoup de risque en vous demandant cette entrevue, mais je ne soupçonnais pas que je serais assez cruelle envers vous et envers moi-même pour vous découvrir ce que vous avez vu aujourd’hui trop clairement, que je vous aime mieux que vous ne m’aimez. Mais puisque vous le savez, je vous prouverai que l’amour d’Alice est exempt de tout intérêt personnel. Elle n’apportera jamais un nom roturier dans votre antique maison. S’il doit y avoir un jour parmi vos descendants quelqu’un qui trouve que les prétentions de la hiérarchie ecclésiastique sont trop exorbitantes, les privilèges de la couronne trop étendus, on ne dira point que de telles idées ont été puisées dans le sang de son aïeule Alice Bridgenorth, la fille d’un whig. — Pouvez-vous parler ainsi ? Alice, dit Julien, pouvez-vous employer de telles expressions ? et ne voyez-vous pas que c’est votre orgueil bien plus que votre amour qui vous fait rejeter notre bonheur commun ? — Non, Julien, non, » répondit Alice, les yeux pleins de larmes, « c’est le devoir qui nous commande à tous deux le devoir, dont nous ne pouvons nous écarter sans risquer notre honneur dans ce monde et dans l’autre. Pensez à ce que j’éprouverais, moi, la cause de tous les maux qui pourraient s’appesantir sur vous, si je voyais votre père froncer le sourcil à votre aspect, votre mère pleurer, vos nobles amis s’éloigner de vous, et vous-même faire la pénible découverte que vous avez encouru le mépris et le ressentiment d’eux tous pour satisfaire une folle passion de jeunesse, tandis que le funeste objet de votre égarement verrait ses faibles attraits décliner chaque jour sous l’influence de la douleur et des regrets. Je ne consentirai jamais à courir un tel risque. Je vois clairement que le plus sage parti