Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/217

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chet ; il faut que vous puissiez recevoir l’impression qu’il s’efforcera de vous donner. — Voilà qui serait déraisonnable, dit Peveril. Je vous avoue franchement, Alice, que je ne suis nullement l’esclave des opinions de mon père, quel que soit le respect que j’aie pour lui. Je voudrais que nos cavaliers, ou ceux qui portent ce nom, eussent plus de charité envers les hommes qui diffèrent d’opinion avec eux, soit en religion, soit en politique. Mais espérer que je pourrais renoncer aux principes dans lesquels j’ai été élevé, ce serait me supposer capable d’abandonner ma bienfaitrice et de briser le cœur de mes parents. — Tel est le jugement que j’ai porté sur vous, dit Alice ; c’est pourquoi je vous ai demandé cette entrevue, afin de vous supplier de rompre toute relation avec ma famille, de retourner vers vos parents, ou, ce qui vaudrait encore mieux, de voyager une seconde fois sur le continent, et d’y rester jusqu’à ce qu’il plaise au ciel d’envoyer de plus heureux jours à l’Angleterre, car ceux de ce temps sont gros d’événements et de désastres.

« Pouvez-vous m’ordonner de partir ? Alice, » dit le jeune homme en lui prenant la main sans qu’elle cherchât à l’en empêcher ; « pouvez-vous m’ordonner de partir, et dire que vous prenez de l’intérêt à mon sort ? Pouvez-vous m’ordonner, dans la crainte de dangers auxquels je dois faire face comme homme, comme noble, et comme fidèle sujet, d’abandonner lâchement ma famille, mes amis, mon pays ; de souffrir l’existence de maux que je peux contribuer à prévenir ; de renoncer à la perspective de faire le peu de bien auquel le ciel m’a rendu propre ; de déchoir d’un rang honorable et utile, pour devenir un fugitif, un esclave des circonstances ? Alice, est-ce bien là ce que vous m’ordonnez ? Pouvez-vous m’engager à une semblable conduite, et me commander de dire adieu pour jamais à vous et au bonheur ? Non, c’est impossible ! je ne puis abjurer à la fois mon amour et l’honneur. — Il n’y a aucun remède, » dit Alice (mais en prononçant ces mots, elle ne put réprimer un soupir) ; « aucun remède ! aucun ! Il est inutile de penser aujourd’hui ce que nous aurions pu être l’un pour l’autre au milieu de circonstances plus favorables. Dans celles où nous nous trouvons, lorsqu’une guerre est près d’éclater entre nos parents et nos amis, nous ne pouvons que nous adresser mutuellement des souhaits de bonheur avec le calme de la résignation ; et nous devons, dans ce lieu même et à cette heure, nous séparer pour ne jamais nous revoir ! — Non, de par le ciel ! »