Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/214

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cette main chérie, et la dévora de baisers. Pendant un moment elle ne fit point de résistance, et l’autre main, qui aurait pu s’opposer à cette témérité, lui servait à cacher la rougeur dont ses joues étaient couvertes. Mais, quoique jeune, quoique attachée tendrement à Julien par la force d’une intimité qui datait déjà de bien loin, elle savait maîtriser les mouvements de son cœur, et se défier d’elle-même.

« Ce n’est pas bien, » dit-elle en dégageant sa main de celle de Julien, « ce n’est pas bien, Julien ; si j’ai commis une imprudence en vous donnant un tel rendez-vous, ce n’est pas à vous à me le faire sentir. »

Le cœur de Julien Peveril avait été embrasé de bonne heure par cette flamme pure et romanesque qui ôte à l’amour son égoïsme, et lui donne le caractère sublime d’un dévouement généreux et désintéressé. Il abandonna la main d’Alice avec autant de soumission et de respect que s’il eût reçu cet ordre de la bouche d’une princesse ; et lorsqu’elle se fut assise sur un fragment de rocher couvert d’un tapis naturel de mousse et de lichens entremêlés de fleurs sauvages, et adossé à un bouquet de bois taillis, il se plaça près d’elle, mais à une certaine distance, comme pour lui faire entendre qu’il n’était là que pour l’écouter et lui obéir. Alice Bridgenorth se rassura en remarquant le pouvoir qu’elle exerçait sur son amant ; et cette soumission, que tant d’autres jeunes filles dans une situation semblable eussent regardée comme incompatible avec une passion ardente, fut pour elle une preuve de la sincérité de son amour. Elle reprit, en lui parlant, un ton de confiance qui rappelait bien plutôt les premiers temps de leur liaison que les entretiens qu’ils avaient eus ensemble depuis le moment où Julien, en révélant sa tendresse, avait mis entre eux la réserve et la contrainte.

« Julien, lui dit-elle, votre visite d’hier, cette visite faite si mal à propos, m’a tourmentée beaucoup, elle a égaré mon père, et elle vous a mis en danger : j’ai résolu à tout prix de vous en avertir. Ne me blâmez pas d’avoir hasardé une démarche imprudente en vous demandant cette entrevue secrète : vous savez combien peu on doit se fier à la pauvre Deborah. — Pouvez-vous craindre de moi aucune interprétation offensante ? Alice, » répliqua Peveril avec chaleur ; « de moi, que vous avez honoré d’une faveur si chère ; de moi, qui vous dois tout ? — Point de protestations, Julien, répondit la jeune fille, elles ne servent qu’à me convaincre