Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/209

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comtesse, car tel était le nom qu’elle portait généralement dans l’île, et les mécontents de la secte la plus rigoriste pensaient qu’il n’y avait qu’une papiste et une femme malintentionnée qui pût garder près d’elle une créature d’une origine aussi douteuse. Ils prétendaient que Fenella n’était sourde et muette que pour les habitants de ce monde, et qu’on l’avait entendue parler, chanter et rire à la manière des fées, avec les êtres invisibles de sa race. Ils assuraient qu’elle était double, qu’elle avait une seconde forme lui ressemblant, qui couchait dans l’antichambre de la comtesse, portait sa queue et brodait dans son cabinet, tandis que la véritable Fenella allait chanter avec les sirènes au clair de la lune, sur les sables qui bordent la mer, ou bien danser avec les fées dans le vallon enchanté de Glenmoy, ou sur les montagnes de Snawfell et de Barool. Les sentinelles elles-mêmes auraient juré au besoin qu’elles avaient vu la jeune fille passer légèrement devant elles pendant la nuit, et que l’impossibilité où elles s’étaient trouvées de lui crier Qui vive ? avait été telle, qu’on aurait pu les croire aussi muettes qu’elle. Les esprits éclairés ne faisaient pas plus d’attention à toutes ces absurdités qu’on n’en fait ordinairement aux exagérations ridicules du vulgaire ignorant, qui confond si souvent l’extraordinaire avec le surnaturel.

Telle était, au physique et au moral, la petite créature qui, tenant dans sa main une légère baguette d’ébène de forme antique, assez semblable à une baguette divinatoire, se présenta subitement devant Julien, au haut de l’escalier par lequel on descendait le rocher en sortant de la cour du château. Les manières de Julien à l’égard de cette infortunée avaient toujours été pleines de douceur, et il s’abstenait surtout de ces railleries et de ces taquineries que son folâtre ami se permettait avec moins de ménagement pour la situation et la sensibilité de cette jeune fille. Aussi Fenella, de son côté, montrait-elle ordinairement pour lui plus de déférence que pour qui que ce fût de la maison, la comtesse exceptée.

Se plaçant en cette occasion au milieu de l’étroit escalier de manière à mettre Julien dans l’impossibilité de passer, elle commença par lui adresser diverses questions au moyen de ses gestes et de ses signes habituels. Elle étendit d’abord le bras, en accompagnant cette action du regard expressif et inquisiteur dont elle se servait lorsqu’elle voulait interroger. Julien, qui la comprit