Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/197

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son arrivée, la cloche de nuit ayant déjà sonné et la garde étant placée, il avait jugé plus convenable et plus respectueux de passer la nuit dans le village.

« C’est fort bien, dit la comtesse ; et pour vous rendre justice, Julien, je dois dire qu’il est rare que vous n’observiez pas toujours exactement l’heure de la retraite, bien que, comme tous les jeunes gens de ce siècle, il vous arrive quelquefois de consumer beaucoup trop de temps à des amusements qui ne devraient pas l’emporter ainsi sur des occupations plus utiles. Quant à votre ami Philippe, c’est un ennemi déclaré du bon ordre, et il semble même se faire un plaisir de gaspiller le temps qu’il ne peut employer d’une manière agréable. — Je viens au moins de l’employer agréablement cette fois, » répondit le comte en se levant de table et en se servant de son cure-dent avec un air de nonchalance. « Ces mulets tout frais sont délicieux, et j’en ai autant à dire du lacryma-christi. Je vous en prie, Julien, asseyez-vous à cette table, et profitez des excellentes choses dont ma royale prévoyance s’est pourvue. Jamais roi de l’île de Man n’a été plus près de se voir à la merci des exécrables faiseurs d’eau-de-vie de ses domaines. Au milieu de tous les embarras de notre départ précipité d’hier au soir, le vieux Griffiths n’aurait jamais eu assez de bon sens pour se munir de quelques flacons, si je n’eusse éveillé son attention sur cet objet important. Mais la présence d’esprit au milieu du tumulte et du danger est un trésor inappréciable que j’ai toujours su conserver. — Je voudrais donc, Philippe, que vous pussiez l’employer à des choses plus importantes, » dit la comtesse en souriant à demi, malgré son mécontentement ; car elle avait pour son fils toute l’indulgence de l’amour maternel, même lorsqu’elle était le plus irritée contre lui de ce qu’il manquait entièrement de cet esprit chevaleresque qui avait distingué son père, et qui s’était trouvé parfaitement d’accord avec le caractère romanesque et altier de la noble dame. « Prêtez-moi votre sceau, » demanda-t-elle en soupirant, « car je crois qu’il serait fort inutile de vous engager à lire ces dépêches arrivées d’Angleterre, et à rendre exécutoires les mandats que j’ai jugé nécessaire de faire dresser en conséquence. — Je mets mon sceau à votre service de tout mon cœur, madame, dit le comte Philippe ; mais, de grâce, épargnez-moi l’ennui de réviser des ordres que vous êtes beaucoup plus capable de donner que moi. Je suis, comme vous savez un roi fainéant dans toute la force du terme, et qui s’est fait