Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/192

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nité fragile aux objets de ce monde ! Mais ne trouvez-vous aucune parole pour me demander le don que votre cœur ambitionne, et dont peut-être vous n’eussiez pas hésité à vous assurer la possession à mon insu et sans mon consentement ? Oh ! ne cherche pas à te justifier, mais écoute-moi. Le patriarche acheta sa bien-aimée par quatorze années de service chez Laban, et ces quatorze années s’écoutèrent pour lui comme des jours. Celui qui veut devenir l’époux de ma fille n’a, en comparaison, que quelques jours à me servir, mais en des affaires d’une si haute importance, qu’ils vaudront des années entières de services. Ne me répondez pas à présent : partez, et que la paix soit avec vous. »

À ces mots, il se retira si promptement, que Peveril n’eut pas en effet le temps de lui répondre. Il jeta les yeux autour de lui, mais Alice et la gouvernante avaient aussi disparu. Ses regards se dirigèrent un moment vers le portrait de Christian, et son imagination lui fit croire qu’un sourire d’orgueilleux triomphe illuminait ce sombre visage ; il tressaillit, et regarda plus attentivement : ce n’était que l’effet d’un rayon du soleil couchant qui frappait en ce moment le tableau. Le rayon passa, et il ne retrouvera plus que les traits fixes, graves et immobiles du soldat républicain.

Julien sortit de l’appartement comme quelqu’un qui marche en dormant, et, montant sur Fairy, agité de mille pensées qu’il lui aurait été impossible de mettre en ordre, il reprit le chemin de Castle-Rushin, où il arriva avant la nuit.

Tout y était en mouvement. La comtesse et son fils, d’après certaines nouvelles, ou par suite de quelque résolution prise pendant son absence, s’étaient retirés, avec la plus grande partie de leur maison, dans la forteresse d’Holm-Peel. Ce château, situé à environ huit milles de Castle-Town, était tombé dans un état de dégradation tel, qu’on pouvait à peine le considérer comme lieu de résidence ; mais comme place forte, Holm-Peel était préférable à Castle-Town, et, à moins d’un siège en règle, il était imprenable. Il était occupé en tout temps par une garnison à la solde des seigneurs de Man. Peveril y arriva à la nuit tombante. Il apprit par les pêcheurs, seuls habitants de ce village, que la cloche de nuit du château avait été sonnée de meilleure heure que de coutume, et qu’on avait établi une garde extraordinaire, précaution qui annonçait des craintes.

Il ne voulut pas troubler la garnison en entrant si tard, et prit pour la nuit dans le village le premier logement qu’il trouva, se