Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/191

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homme un caractère marqué de froide décision et de mélancolie impassible qui aurait rendu difficile à Julien de s’offenser personnellement de ses discours, quand même il n’eût pas été le père d’Alice ; et peut-être ignorait-il lui-même combien cette circonstance agissait sur lui. Enfin le langage et les opinions du major avaient quelque chose de calme à la fois et de résolu qui ne donnait guère prise à la discussion, quoiqu’il fût impossible d’admettre les conséquences auxquelles il prétendait arriver.

Tandis que Julien restait sur sa chaise comme retenu par l’effet d’un enchantement, et aussi étonné de la compagnie dans laquelle il se trouvait que des opinions qu’il venait d’entendre, une autre circonstance vint lui rappeler que les convenances exigeaient qu’il ne prolongeât pas plus long-temps sa visite à Black-Fort. Fairy, petite jument du pays, qui, accoutumée aux excursions de son maître à Black-Fort, avait coutume de s’amuser à paître tandis que Julien faisait ses visites, commença à trouver que celle de ce jour-là était un peu longue. Fairy était un présent fait par la comtesse à Julien lorsqu’il était encore très-jeune. Elle était issue d’une race de chevaux des montagnes, race vigoureuse, pleine de feu, infatigable, et remarquable en même temps par sa longévité et par une intelligence presque égale à celle du chien. Fairy donna une preuve de cette dernière qualité par le moyen qu’elle employa pour exprimer l’impatience qu’elle éprouvait de retourner chez elle. Du moins telle parut être son intention lorsqu’elle poussa un hennissement aigu qui fit tressaillir Alice et Deborah ; un moment après, les deux femmes ne purent s’empêcher de sourire en voyant la tête de Fairy s’avancer dans l’appartement par la fenêtre restée entr’ouverte.

« Fairy me rappelle, » dit Julien en regardant Alice et en se levant, « que le terme de mon séjour ici est arrivé. — J’ai à vous parler un moment encore, » dit Bridgenorth, en l’entraînant dans l’un des renfoncements du salon gothique et baissant la voix de manière à ne pas être entendu d’Alice et de sa gouvernante, qui, pendant ce temps, s’amusaient à caresser Fairy et à lui donner des morceaux de pain.

« Vous ne m’avez pas encore appris le motif de vos visites ici, » dit Bridgenorth. Il s’arrêta comme pour jouir de son embarras ; puis continuant : « Il est certain qu’il est fort inutile que vous me l’appreniez ; je n’ai pas encore oublié les jours de ma jeunesse et ces liens de tendresse qui n’attachent que trop l’huma-