Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/185

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être regardée en quelque sorte comme un avantage. — Il me semble, répondit Bridgenorth, que cela doit être ainsi dans cette vie d’épreuves continuelles, où tout mal temporel est accompagné ou suivi de quelque bien, et on tout ce qui est bien est intimement lié à ce qui est mal en soi. — Ce doit être un noble spectacle, dit Julien, de voir l’énergie d’une grande âme s’éveiller tout à coup de son assoupissement, et reprendre sur les esprits d’un ordre inférieur la puissance à laquelle elle a droit de prétendre. — J’en ai joui une fois, répondit Bridgenorth ; et comme le récit est court, je le ferai, s’il peut vous plaire.

« Dans mes courses errantes, je n’ai pas oublié de visiter nos établissements transatlantiques, et j’ai surtout observé avec intérêt la Nouvelle-Angleterre, pays que la Grande-Bretagne, semblable à un homme ivre qui jette loin de lui ses trésors, a enrichi de ce qu’elle a de plus précieux aux yeux de Dieu et de ses enfants. Là des millions d’hommes, les meilleurs et les plus pieux de ceux qui par la droiture et la pureté de leur cœur peuvent se placer entre le Tout-Puissant et sa colère pour empêcher la ruine des cités, consentent à vivre dans le désert, et préfèrent lutter sans cesse contre d’ignorants sauvages, plutôt que de s’abaisser, dans leur patrie opprimée, à éteindre la lumière divine qui éclaire leur âme. J’y restai pendant les guerres que la colonie eut à soutenir contre Philippe, grand chef indien, ou Sachem, comme on le nommait, qui semblait un messager de persécution envoyé contre elle par Satan. Sa cruauté était sans bornes ; sa dissimulation, profonde ; et le talent et l’activité avec lesquels il entretenait une guerre irrégulière et destructive firent essuyer à l’établissement de terribles calamités.

« J’étais par hasard dans un petit village situé au milieu des bois, à plus de trente milles de Boston, dans un lieu très-solitaire et entouré de halliers épais. Cependant on n’y avait encore, à cette époque, aucune crainte des Indiens, car on comptait sur la protection d’un corps considérable de troupes qui s’était mis en campagne pour protéger les frontières, et qui campait, ou qui était supposé camper entre le hameau et le pays occupé par l’ennemi. Mais il s’agissait d’un homme que Satan lui-même avait doué de ruse et de cruauté.

« C’était un dimanche matin, et nous étions tous assemblés dans la maison du Seigneur pour prier et demander d’heureuses inspirations. Notre temple n’était construit que de troncs d’arbres : mais