Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/183

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habituelle, et semblaient prophétiser des malheurs à venir. Quelques saillies d’enthousiasme brillaient aussi par intervalle, semblables à l’éclair d’une soirée d’automne qui déploie une lumière vive, quoique passagère, au travers du crépuscule ; et prête à tous les objets d’alentour un caractère étrange, mais imposant. En général cependant les remarques de Bridgenorth étaient claires et frappantes ; et, comme il ne visait point aux grâces du langage, elles tiraient tout leur mérite de cette conviction qui l’animait et qui se communiquait à ses auditeurs. Par exemple, lorsque Deborah, dans la vanité vulgaire d’un cœur orgueilleux, eut appelé l’attention de Julien sur l’argenterie dont la table était ornée, Bridgenorth jugea convenable de faire l’apologie de cette dépense superflue.

« C’est un symptôme qui annonce le danger, dit-il, quand on voit des hommes, d’ailleurs complètement désabusés des vanités de la vie, employer un argent considérable en ornements formés de métaux précieux. C’est une preuve que le marchand ne peut obtenir l’intérêt de ses capitaux, lorsque, pour les conserver, il les paralyse en les transformant de cette manière ; c’est une preuve que les nobles et les riches craignent la cupidité du pouvoir, quand ils donnent à leurs richesses une forme qui les rend plus portatives et plus faciles à soustraire aux regards. On reconnaît l’incertitude du crédit quand un homme de bon sens préfère une masse d’argent à la reconnaissance d’un orfèvre ou d’un banquier. Tant qu’il reste une ombre de liberté, les droits particuliers sont les derniers envahis : c’est pour cette raison que l’on dispose artistement, sur les tables et sur les buffets, les richesses que l’on espère ainsi conserver plus long-temps, et qui peut-être n’en sont pas moins exposées à la rapacité d’un gouvernement tyrannique. Mais qu’une demande de capitaux survienne pour vivifier le commerce, et la masse jusque-là stérile tombe dans la fournaise, et le lourd et vain ornement du banquet devient un agent actif et puissant, qui contribue à la prospérité du pays. — Et en temps de guerre aussi, dit Peveril, l’argenterie a été souvent une ressource prompte et utile. — Trop souvent, répondit Bridgenorth. Dans ces derniers temps, l’argenterie de la noblesse, celle des collèges, et la vente des joyaux de la couronne, ont mis le prince en état de faire cette malheureuse résistance qui a empêché le retour de la paix et de l’ordre, et n’a servi qu’à donner à l’épée une injuste supériorité sur le double pouvoir du roi et du parlement.