Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/175

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reconnaissance et les obligations dues à un ami, de respecter mes droits et ma personne ; mais bien loin de là, il se jette entre moi, moi le vengeur du sang répandu, et la criminelle devenue ma captive ; il me renverse, met ma vie en danger, et souille mon honneur, du moins aux yeux des hommes. Et, sous sa protection, la femme madianite, semblable à l’aigle de mer, atteint l’aire qu’elle s’est construite sur le rocher, et s’y cache jusqu’à ce que l’or habilement distribué à la cour ait effacé le souvenir de son crime ; et là elle ose braver la vengeance qui est due à la mémoire du plus brave et du meilleur des hommes. Mais, » ajouta-t-il en s’adressant au portrait de Christian, « tu n’es pas encore oublié, et si cette vengeance qui poursuit tes meurtriers marche lentement, elle marche d’un pas assuré. »

Il s’arrêta quelques instants, et Julien, impatient de savoir à quelle conclusion le major voulait arriver, se garda bien de l’interrompre. Au bout de quelques minutes, Bridgenorth reprit la parole.

« Ce n’est point parce que ces événements me sont personnels que j’en parle avec amertume ; ce n’est pas dans le ressentiment et le dépit de mon cœur que je les rappelle ici, bien qu’ils aient été la cause qui m’a banni de l’asile de mes pères, et de ce lieu sacré où reposent les dépouilles de tout ce que j’ai chéri sur la terre ! Un motif plus grave, parce qu’il touche à l’intérêt public, aigrit la querelle qui existe entre votre père et moi. Qui fut plus actif que lui à exécuter l’édit fatal du jour de la Saint-Barthélemy, jour odieux où tant de saints prédicateurs de l’Évangile furent chassés de leurs maisons, de leurs foyers, de leurs autels, de leurs églises, pour faire place à de vils débauchés, à des larrons impies ? Qui, lorsque quelques hommes dévoués au Seigneur se réunirent pour relever l’étendard abattu et faire triompher la bonne cause, fut le plus prompt à ruiner leurs projets, à les chercher, à les arrêter, à les persécuter ? Quel est celui par lequel je fus poursuivi de si près que je sentis sur mon cou la chaleur de son souffle ? Quel est celui dont le sabre nu brilla non loin de moi, tandis que j’errais dans les ténèbres, et que je me cachais comme un voleur dans la maison de mes pères ? C’était sir Geoffrey, c’était votre père ! Que pouvez-vous répondre à tous ces faits, et comment pouvez-vous les concilier avec vos désirs ? »

Julien, pour toute réponse, se borna à faire observer que ces événements s’étaient passés il y avait bien long-temps, à une