Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/174

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crois pouvoir les surmonter. Mon père est noble et généreux ; ma mère bonne et sensible, ils vous aimaient autrefois, ils vous aimeront encore, je l’espère. Je serai le médiateur entre vous ; la paix et l’harmonie reviendront habiter notre voisinage, et… »

Bridgenorth l’interrompit par un sourire ironique : du moins ce sourire parut tel en passant sur sa figure sombre et mélancolique. « Ma fille avait raison de dire, il n’y a pas long-temps, que vous étiez un faiseur de songes, un architecte occupé sans cesse de plans fantastiques comme les rêves de la nuit. Savez-vous bien ce que vous me demandez, jeune homme, en me demandant ma fille, mon unique enfant, la somme de tous mes biens terrestres ? Vous me demandez la clef de la seule fontaine où mon âme puisse désormais trouver quelque rafraîchissement agréable. Vous voulez devenir le seul gardien de mon bonheur ici-bas ; mais qu’avez-vous offert, qu’offrez-vous en retour d’un pareil trésor ? — Je ne sens que trop, » dit Peveril, déconcerté de voir qu’il s’était un peu trop tôt livré à l’espérance, « combien il doit vous être difficile et pénible de le céder. — Fort bien ; mais ne m’interrompez pas, reprit Bridgenorth, jusqu’à ce que je vous aie fait connaître la valeur de ce que vous avez à m’offrir en échange d’un don que vous désirez ardemment, quoi qu’il puisse valoir, et qui comprend tout ce que j’ai de précieux à léguer sur la terre. Vous pouvez avoir appris que, dans ces derniers temps, j’ai combattu les principes de votre père et de sa faction profane ; mais je ne fus jamais son ennemi personnel. — Jamais je n’ai entendu dire que vous l’ayez été, répondit Julien ; au contraire, et il n’y a qu’un instant que je vous rappelais que vous aviez été son ami. — Oui, et quand il était dans l’affliction ; moi j’étais dans la prospérité. Je ne manquais ni de la bonne volonté ni du pouvoir de lui prouver que j’étais son ami. La roue de la fortune a tourné, les temps ont changé. Un homme paisible et inoffensif pouvait espérer d’un voisin, devenu puissant à son tour, la protection qu’ont droit d’attendre, même de ceux qui lui sont étrangers, tous les sujets du même royaume, quand ils marchent fidèlement dans le chemin de la justice et de la loi. Qu’arrive-t-il ? Je poursuis, au nom du roi et des lois, une meurtrière dont la main est teinte du sang de mon parent ; et en pareil cas, j’avais droit d’appeler tout sujet lige pour m’aider à exécuter le mandat. Mon voisin, mon ancien ami, était tenu, comme homme et comme magistrat, de prêter main forte à la justice ; il était tenu, par la