Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de plus de pénétration que son peu d’expérience ne l’eût fait supposer, il résolut intérieurement de chercher à deviner le caractère de celui auquel il parlait. Dans ce dessein, réglant sa réponse sur l’observation du major, il lui dit que, n’ayant pas l’avantage de connaître le lieu qu’il habitait, il avait cru devoir recourir à sa fille.

« Que vous avez vue aujourd’hui pour la première fois ? demanda Bridgenorth. Est-ce ainsi que je dois l’entendre ? — Non, » répondit Julien en baissant les yeux ; « je suis connu de votre fille depuis plusieurs années ; et ce que je désirais vous dire concerne son bonheur et le mien. — Je crois vous comprendre, reprit Bridgenorth, comme les hommes charnels se comprennent mutuellement lorsqu’il s’agit des choses de ce monde. Vous êtes attaché à ma fille par les liens de l’amour, je le sais depuis longtemps. — Vous, monsieur Bridgenorth ! s’écria Julien, vous le savez depuis long-temps ? — Oui, jeune homme ; pensez-vous que le père d’Alice Bridgenorth eût souffert que sa fille unique, le seul gage de la tendresse de celle qui est maintenant un ange dans le ciel, fût restée dans cette retraite, s’il n’eût eu un moyen sûr d’être instruit de toutes ses actions ? J’ai été moi-même témoin des vôtres et des siennes plus que vous ne l’imaginez, et quoique absent, le pouvoir de surveiller votre conduite était encore entre mes mains. Jeune homme, on dit qu’un amour tel que celui que vous nourrissez pour ma fille apprend à être subtil ; mais, croyez-moi, il ne saurait donner plus de clairvoyance que l’amour paternel. »

Le cœur de Julien palpitait d’émotion et de joie. « Puisque vous connaissez depuis si long-temps nos relations, dit-il à Bridgenorth, puis-je me flatter que vous ne les avez point désapprouvées ? »

Le major garda le silence quelques instants, et répondit ensuite : « Non, je ne les désapprouve pas à quelque égard : certainement non. S’il en était autrement, si j’avais remarqué de votre côté ou de celui de ma fille la moindre chose qui tendît à rendre vos visites ici dangereuses pour elles et désagréables pour moi, elle ne serait pas restée long-temps habitante de cette solitude, et même de cette île. Cependant ne vous hâtez pas d’en conclure que tout ce que vous désirez à cet égard puisse s’accomplir avec promptitude et facilité. — Je prévois, il est vrai, des difficultés, répondit Julien ; mais aidé de votre bienveillante adhésion, je