Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/170

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pourrez être plus raisonnable. — Plus raisonnable, répéta Julien ; c’est vous, vous Alice, qui me ferez perdre entièrement la raison. Ne m’avez-vous pas dit que si nos parents consentaient jamais à notre union, vous cesseriez de votre côté d’être contraire à mes vœux ? — Non, non, non, » dit Alice, précipitamment et en rougissant, « je n’ai pas dit cela ; Julien, c’est votre folle imagination qui a interprété ainsi mon silence et ma confusion. — Et vous ne voulez pas le dire aujourd’hui ! reprit Julien. Oh ! je le vois trop bien : quand même tous les obstacles disparaîtraient, j’en trouverais encore un dans le cœur froid et glacé de celle qui ne répond à l’amour le plus sincère et le plus tendre que par l’indifférence et le mépris. Est-ce là, » ajouta-t-il avec une émotion profonde, « ce qu’Alice Bridgenorth dit à Julien Peveril ? — En vérité, Julien, » dit la jeune fille les yeux pleins de larmes, « je n’ai pas dit cela ; je n’ai rien dit, et je ne dois rien dire sur ce que je ferai si des circonstances qui ne peuvent point arriver venaient à se présenter. En vérité, Julien, vous ne devriez pas me presser ainsi. Seule, sans protection, prenant de l’intérêt, beaucoup d’intérêt à votre bonheur, pourquoi me solliciter de dire ou défaire ce qui pourrait manquer de m’ôter ma propre estime ? pourquoi chercher à me faire avouer de l’affection pour celui dont le destin m’a séparée à jamais ? C’est un manque de générosité, c’est une cruauté ; c’est vouloir pour vous une jouissance égoïste et passagère, aux dépens de tout ce que le devoir et l’honneur me commandent. — Assez, assez, » s’écria Julien avec des yeux étincelants ; « vous m’en avez dit assez, Alice, pour m’imposer silence, je ne vous presserai pas davantage. Mais vous vous exagérez les obstacles qui nous séparent : ils disparaîtront… il faudra qu’ils disparaissent. — Vous avez déjà dit cela, répondit Alice, et votre propre témoignage montre ce que de telles espérances ont de raisonnable. Vous n’avez pas même osé vous en ouvrir à votre père, comment vous risqueriez-vous à en parler avec le mien ? — Bientôt, je l’espère, je vous mettrai en état de prononcer à cet égard. Le major Bridgenorth, si j’en crois ce que dit ma mère, est un digne, un estimable homme. Je lui rappellerai que c’est aux soins de ma mère qu’il doit ce trésor, la consolation de sa vie ; et je lui demanderai si, pour prix de ces tendres soins, il doit la priver de son fils. Que je sache seulement où le trouver, Alice, et bientôt vous apprendrez si j’ai craint de plaider ma cause devant lui. — Hélas ! répondit Alice, vous savez l’ignorance où je suis