Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je vous verrai ; je me promènerai avec vous, je lirai avec vous, mais comme un frère avec sa sœur, comme un ami avec son ami. Les pensées qui occuperont mon âme, qu’elles soient d’espérance ou de désespoir, resteront ensevelies dans le silence, et ma bouche ne les trahira plus. Ainsi désormais je ne pourrai plus vous offenser. Deborah sera toujours présente à nos entretiens, afin de prévenir le moindre mot, le moindre signe qui pourrait vous déplaire. La seule grâce que j’implore, c’est que vous ne me fassiez pas un crime de ces pensées, qui sont la partie la plus chère de mon existence : car, croyez-moi, il y aurait plus de justice, plus de pitié à m’arracher l’existence même. — C’est bien là le langage exalté de la passion, Julien, répondit Alice Bridgenorth ; c’est notre égoïsme et notre opiniâtreté qui nous font regarder comme impossible tout ce qui nous déplaît. Je n’ai de confiance ni dans le plan que vous proposez, ni dans votre résolution, et je n’en ai pas davantage dans la protection de Deborah. Jusqu’à ce que vous soyez capable de renoncer franchement et pleinement aux projets insensés que vous avez formés, nous devons être étrangers l’un à l’autre ; et même, puissiez-vous y renoncer dès aujourd’hui, le meilleur parti serait encore de nous séparer pour long-temps, et pour l’amour du ciel, que ce soit le plus tôt possible ! Peut-être est-il déjà trop tard pour prévenir quelque événement fâcheux… N’ai-je point entendu du bruit ? — C’est Deborah, répondit Julien, ne vous effrayez point, Alice : nous sommes à l’abri de toute surprise. — Que voulez-vous dire par là ? reprit Alice, je n’ai rien à cacher, rien à craindre. Je ne cherchais pas cette entrevue, je l’ai évitée aussi longtemps que je l’ai pu, et je désire vivement de la voir se terminer. — Pourquoi un tel désir, Alice, puisque vous dites que cette entrevue doit être la dernière ? — Pourquoi abréger des instants qui doivent passer si vite ? Le bourreau lui-même ne presse pas le malheureux agenouillé sur l’échafaud de hâter sa prière. Ne voyez-vous pas que je raisonne aussi froidement que vous pouvez le désirer ? que vous manquez vous-même à votre parole, et que vous détruisez l’espérance que vous m’avez donnée ? — Quelle parole, quelle espérance vous ai-je donnée, Julien ? demanda Alice ; c’est vous seul qui vous créez un chimérique espoir ; et vous m’accusez ensuite de détruire ce qui n’eut jamais aucun fondement. Prenez pitié de vous, prenez pitié de moi, de nous deux enfin ! éloignez-vous, et ne revenez que lorsque vous