Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/168

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Faites usage de votre raison ; considérez le tort que vous vous portez à vous-même, l’injustice dont vous vous rendez coupable envers nous, et souffrez que je vous conjure encore une fois, en termes très-clairs, de vous éloigner d’ici jusqu’à ce que… jusqu’à ce que… — Jusqu’à quand, Alice ? jusqu’à quand ? » interrompit vivement Julien. « Imposez-moi une absence aussi longue que votre sévérité le voudra : mais qu’elle ne soit point éternelle ! Dites-moi de m’éloigner pour des années, mais laissez-moi revenir quand ce temps sera écoulé ; et quelque lent, quelque pénible que soit son cours, la pensée qu’il doit avoir un terme me donnera la force de vivre pendant cet exil. Laisse-moi donc te conjurer, Alice, de fixer un terme à cette séparation, et de me dire jusqu’à quand je dois languir loin de toi ! — Jusqu’au moment où vous ne verrez plus en moi qu’une sœur et une amie. — C’est donc une sentence de bannissement perpétuel ! dit Julien. Appelez-vous mettre un terme à mon exil que d’y attacher une condition impossible à remplir ? — Et pourquoi serait-elle impossible, Julien ? » demanda-t-elle d’une voix douce et persuasive. « Dites, n’étions-nous pas plus heureux avant que vous eussiez levé le masque qui vous cachait, et déchiré le voile qui couvrait mes yeux abusés ! Nos entrevues n’étaient-elles pas pleines de bonheur, nos heures ne s’écoulaient-elles pas dans une douce joie, et ne nous séparions-nous pas sans chagrin, sans amertume, parce que nous ne transgressions aucun de nos devoirs, et que notre conscience ne nous faisait aucun reproche ? Ramenez cet état d’heureuse ignorance, et vous n’aurez aucune raison de m’appeler cruelle. Mais lorsque vous ne formez que des projets chimériques, lorsque vous ne savez employer que le langage de la violence et de la passion, vous me pardonnerez si je vous déclare maintenant, et pour la dernière fois, que, puisque Deborah se montre incapable de répondre à la confiance dont on l’honore, et m’expose par son imprudence à de telles persécutions, j’écrirai à mon père, afin qu’il me choisisse une autre résidence, et en attendant je me réfugierai chez ma tante à Kirk-Truagh. — Écoutez-moi, fille impitoyable, dit Peveril, écoutez-moi, et vous verrez combien je suis disposé à vous obéir, à me soumettre à la moindre de vos volontés. Vous dites que vous étiez heureuse lorsque nous ne parlions pas du sujet qui nous occupe aujourd’hui : en bien ! au prix même de mon repos, je saurai étouffer mes propres sentiments, et ce temps fortuné renaîtra.