Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tôt lady Peveril le supplia de ne jamais prononcer ce nom, surtout en présence de son père.

« Ce major Bridgenorth, dont j’ai quelquefois entendu parler, était-il donc un si méchant voisin ? demanda Julien. — Je ne dis pas cela, répondit lady Peveril ; il nous a même rendu plus d’un service à l’époque de nos malheurs ; mais votre père et lui ont eu ensemble des altercations si vives, que la moindre allusion à cet homme trouble sir Geoffrey et l’irrite d’une façon extraordinaire, ce qui m’alarme quelquefois, surtout à présent que sa santé est fort altérée. Pour l’amour du ciel ! mon cher Julien, évite donc avec soin de faire la moindre allusion à Moultrassie et à aucun de ses habitants. »

Cette recommandation fut faite d’un ton si sérieux que Julien lui-même reconnut que, s’il disait le moindre mot touchant ses desseins secrets, ce serait, en ce moment, le plus sûr moyen de les faire avorter. Il revint donc à l’île de Man, le désespoir dans le cœur.

Il eut cependant la hardiesse de tirer parti de son voyage pour demander à Alice une entrevue, afin de l’informer de ce qui s’était passé entre ses parents et lui, relativement à elle. Ce fut avec beaucoup de difficulté qu’il l’obtint ; et Alice ne put s’empêcher de montrer un vif mécontentement lorsque, après avoir écouté ses nombreuses circonlocutions et avoir remarqué les efforts qu’il faisait pour donner un air d’importance à ce qu’il venait lui apprendre, elle comprit qu’il avait tout simplement à lui dire que lady Peveril conservait encore une opinion favorable du major Bridgenorth, opinion que Julien ne manqua pas de lui représenter comme le présage heureux de leur prochaine réconciliation.

« Je ne croyais pas, monsieur Peveril, » dit Alice avec un air de froide dignité, « que vous m’abuseriez ainsi ; mais je prendrai soin à l’avenir d’éviter de telles inconvenances. Je vous prie de cesser entièrement vos visites à Black-Fort ; et je vous supplie, bonne mistress Debbitch, de ne point les permettre ni les encourager dorénavant, car le résultat d’une semblable persécution serait de me forcer à demander à ma tante ou à mon père un changement de demeure, et peut-être une compagne plus prudente. »

Ces dernières paroles frappèrent mistress Deborah d’une si grande terreur, qu’elle se joignit à Alice pour exiger de Julien qu’il s’éloignât à l’instant, et il fut obligé d’obéir à cet ordre sévère. Mais le courage d’un jeune amant n’est pas facile à dompter : Julien, après avoir cherché, selon l’usage ordinaire, à oublier son