Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/156

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beaucoup trop exposée aux vents d’Écosse, qui ne pouvaient qu’être très-froids, puisqu’ils venaient d’un pays où il y avait de la neige et de la glace au milieu de l’été. Bref, elle l’emporta, et fut mise en pleine possession de Black-Fort, maison qui, ainsi que Kirk-Truagh, avait appartenu autrefois à Christian, et qui appartenait maintenant à sa veuve.

Cependant il fut enjoint à la gouvernante et à sa pupille d’aller à Kirk-Truagh de temps en temps, et de se regarder toujours comme sous la direction et la surveillance de mistress Christian ; état d’assujettissement que Deborah ne manqua pas d’adoucir de tout son pouvoir, en prenant autant de liberté qu’elle l’osa, toujours animée, sans doute, par ce même esprit d’indépendance qui l’avait excitée, lorsqu’elle habitait Martindale, à rejeter avec mépris les avis de mistress Ellesmère.

Ce fut cette disposition prononcée à braver tout contrôle qui lui fit concevoir l’idée de procurer secrètement à Alice les moyens d’acquérir certains talents que les principes sévères du puritanisme auraient proscrits. Elle se hasarda à lui faire apprendre la musique et même la danse ; et le portrait du grave colonel Christian tremblait sur la boiserie à laquelle il était suspendu, tandis qu’Alice, légère comme une sylphide, et la pesante Deborah exécutaient ensemble des chassés et des pas de bourrée, au son d’une pochette qui résonnait aigrement sous l’archet de M. de Pigal, moitié contrebandier, moitié maître de danse. Mais le bruit de cette abomination parvint aux oreilles de la veuve du colonel, qui s’empressa d’en instruire Bridgenorth : l’arrivée subite de ce dernier prouva l’importance qu’il attachait à une pareille nouvelle. Si mistress Deborah se fût écartée de son rôle en ce moment, c’eût été le dernier de son autorité ; mais elle sut faire usage de ses armes habituelles.

a La danse, dit-elle, est un exercice réglé et mesuré par la musique, et le simple bon sens fait voir qu’il est le plus salutaire de tous pour une jeune personne délicate, surtout parce qu’on peut s’y livrer à la maison, quelque temps qu’il fasse au dehors. »

Bridgenorth écoutait ce langage en fronçant le sourcil, et son front se chargeait de nuages, lorsque Deborah, Voulant donner un exemple à l’appui de sa doctrine, prit sa viole dont elle jouait passablement, commença une ronde de Sellenger, et dit à Alice de danser et de faire attention à la mesure. Rougissant et souriant tout à la fois, la jeune fille, qui n’avait alors que quatorze ans,