Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/146

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comte de Derby, je lui garde pourtant quelque vénération. Je me rappelle le jour où on le conduisit à la mort : c’était celui du premier congé que j’aie jamais eu de ma vie, et que je voudrais de bon cœur avoir eu pour quelque autre motif. — J’aimerais mieux vous entendre parler de toute autre chose, milord, dit Julien. — C’est toujours ainsi chaque fois que je vous parle de quelque chose qui vous échauffe le sang, que vous avez aussi froid qu’un homme moitié chair, moitié poisson, pour employer une comparaison de cette île fortunée. Mais puisque vous voulez changer d’entretien, voyons, de quoi parlerons-nous ? Ô Julien, si vous n’aviez pas été vous enterrer tout vivant dans les vieux castels et les cavernes du Derbyshire, que de sujets délicieux n’aurions-nous pas à traiter ? les spectacles, le palais du roi, celui du duc : la demeure de Louis n’est rien au prix de cela ; et la promenade du parc, qui l’emporte sur le Corso de Naples ; et le beau sexe de Londres, qui l’emporte sur celui de tous les autres pays du monde. — Je ne demande pas mieux que d’écouter tout ce que vous aurez à me dire sur ce sujet, répondit Julien ; les récits que vous me ferez sur Londres seront d’autant plus intéressants pour moi que je connais à peine cette ville. — Eh bien ! mon ami… mais par où commencerai-je ? par l’esprit de Buckingham, de Sedley et d’Etherege[1], ou par l’élégance d’Henri Jermy, la courtoisie du duc de Montmouth, ou par les attraits de la belle Hamilton, de la duchesse de Richmond, de lady… par la beauté de Roxelane, ou la vivacité piquante de mistress Nelly[2] ?… — Que ne commencez-vous par les grâces enchanteresses de lady Cynthia ? — Ma foi, je voulais les garder pour moi-même, afin de suivre l’exemple de votre prudente réserve. Mais puisque vous me le demandez, je conviendrai franchement que je ne sais que vous en dire, si ce n’est que j’y pense vingt fois plus souvent qu’à toutes ces beautés dont je vous ai parlé. Et cependant elle n’est ni aussi belle, à beaucoup près, que la moins belle de toutes ces beautés de cour, ni aussi spirituelle que la plus simple d’entre elles, ni aussi à la mode que la plus obscure et la plus ignorée, ce qui est un point d’une grande importance. Je ne saurais dire, en vérité, ce qui m’attire vers elle, si ce n’est qu’elle est aussi capricieuse que tout son sexe ensemble. — Ce serait là un bien

  1. Courtisans beaux esprits. a. m.
  2. Les portraits de ces belles se voient encore aujourd’hui dans une galerie du château de Windsor. a. m.