Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/138

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vait voir aisément que plusieurs de ses rameaux étaient brisés et qu’il avait été frappé de la foudre. « Vous rappelez-vous, demanda Bridgenorth, le jour où nous vîmes ensemble cet arbre pour la dernière fois ? Ce fut celui où, arrivant de Londres, j’apportais le sauf-conduit que m’avait donné le comité pour votre mari. Au moment où je passai sous cet arbre, je vous aperçus à cet endroit même où nous sommes : vous étiez avec cette Alice que j’ai perdue, et les deux derniers de mes enfants chéris folâtraient près de leur mère et de vous. Je sautai à bas de mon cheval. Pour elle, j’étais un époux, pour eux un père, pour vous un protecteur bienvenu et révéré ! Que suis-je maintenant pour qui que ce soit ? » Il porta la main à son front et poussa un gémissement douloureux.

Il n’était pas dans la nature de lady Peveril d’entendre l’expression de la douleur sans essayer d’y apporter quelque adoucissement. « Monsieur Bridgenorth, dit-elle, tout en suivant fidèlement ma religion, je ne blâme la croyance religieuse de personne, et je me réjouis que vous ayez cherché dans la vôtre des consolations à vos afflictions temporelles ; mais toutes les croyances chrétiennes ne nous apprennent-elles pas également que l’affliction doit adoucir le cœur ? — Oui, femme, » répondit Bridgenorth d’un air sombre, « de même que la foudre en frappant les branches de ce chêne en a amolli le tronc. Non, de même que le bois le plus dur est le plus propre à un ouvrage de longue durée, le cœur endurci et desséché est aussi celui qui peut le mieux supporter la tâche que nous impose le malheur de ces temps. Ni Dieu ni les hommes ne souffriront plus long-temps la dissolution sans bornes du méchant, les railleries de l’impie, le mépris des lois divines, l’infraction des lois humaines ; la force des circonstances exige impérieusement des redresseurs et des vengeurs, et il n’en manquera pas. — Je ne nie pas l’existence de beaucoup de mal, » dit lady Peveril faisant un effort sur elle-même pour parler, et se remettant à marcher ; » et d’après des ouï-dire, et non, Dieu merci, d’après mes propres observations, je suis convaincue de la corruption du temps ; mais, espérons qu’on y saura remédier sans avoir recours aux moyens violents dont vous semblez vouloir parler. Bien certainement, les désastres d’une seconde guerre civile, extrémité terrible à laquelle, j’espère, vous ne pouvez songer, seraient la dernière ressource du désespoir. — Ce serait, en effet, une extrémité terrible, mais sûre, reprit Bridgenorth.