Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/394

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ma politesse française ne me mène pas loin, je voudrais savoir véritablement si je dois parler en ami, puisque Votre Seigneurie daigne me donner ce nom, ou si je dois, comme il convient à ma condition, me borner à traiter l’affaire indispensable qui m’amène ici. — Parler comme un ami ! certainement, maître Heriot… Je vois que vous avez adopté en grande partie, sinon entièrement, les préjugés défavorables qu’on a cherché à répandre sur mon compte… Parlez librement et sans réserve… J’avouerai du moins avec franchise les torts que j’ai réellement. — Et j’espère aussi, milord, que vous chercherez à les réparer. — Autant qu’il est en mon pouvoir de le faire, assurément. — Ah ! milord, voilà une restriction aussi triste qu’elle est inévitable ; combien ne voyons-nous pas tous les jours d’individus commettre légèrement cent fois plus de mal qu’il ne sera en leur pouvoir d’en réparer envers la société et ceux qui en sont devenus victimes ! Mais nous ne sommes pas seuls ici, » dit-il en souriant et jetant un regard pénétrant sur la jeune femme déguisée, qui, malgré tous ses efforts pour se soustraire à son observation, n’avait pu lui échapper. Plus soigneux d’empêcher qu’elle ne fût découverte que de tenir ses propres affaires cachées, Nigel se hâta de dire :

« C’est un page qui est à mon service ; vous pouvez parler librement devant lui ; il vient de France, et n’entend pas l’anglais. — Vous m’assurez donc que je puis parler librement, » reprit Heriot après avoir jeté un second coup d’œil sur le fauteuil ; « mais je crains que mes paroles ne soient plus franches qu’agréables… — Continuez, monsieur ; je vous ai dit que je savais supporter le reproche. — En un mot, milord, pourquoi vous trouvé-je ici, sous le poids d’accusations faites pour flétrir un nom illustré par des siècles de vertus ? — Vous me trouvez ici, parce que ma première erreur fut de vouloir être plus sage que mon père. — C’était chose difficile, milord : votre père avait la réputation d’être l’un des hommes les plus sages et les plus braves de l’Écosse. — Il m’avait recommandé d’éviter le jeu ; et j’ai cru pouvoir me permettre de modifier cette injonction en réglant mon jeu d’après ma prudence, mes moyens et mon bonheur. — Je comprends ; ce fut un sentiment de présomption auquel vint ensuite se joindre le désir du gain… Vous espériez pouvoir toucher de la poix sans que vos doigts en fussent souillés… Eh bien ! milord, il est inutile de m’en dire davantage sur ce point, car j’ai appris avec un vif regret combien cette conduite avait porté at-