Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/386

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quelque singulier que cela puisse paraître, » répondit Christie, du ton d’une ironie amère et avec une espèce de sourire qui formait un étrange contraste avec l’altération de ses traits, la colère qui étincelait dans ses yeux et l’écume qui couvrait ses lèvres ; « oui, je viens la redemander à Votre Seigneurie… Sans doute vous vous étonnez que je m’en inquiète encore, et je ne pourrais vous le faire comprendre, car les grands et les petits ont une manière de penser tout à fait différente ; mais elle a reposé sur mon sein et bu dans ma coupe, et telle qu’elle est, je ne puis l’oublier… Si je ne dois jamais la revoir, je ne puis du moins la laisser mourir de faim, ou la mettre dans le cas de faire pis pour gagner son pain, quoique Votre Seigneurie pense à coup sûr que la détourner d’une telle route, c’est faire un vol au public. — Sur la foi d’un chrétien et sur l’honneur d’un gentilhomme, dit lord Glenvarloch, s’il est arrivé quelque malheur à votre femme, j’y suis complètement étranger, et je prie Dieu que vous vous trompiez autant en lui attribuant une telle erreur que vous vous méprenez en m’en supposant complice. — Fi ! fi ! milord, répliqua Christie, à quoi bon prendre tant de peine ? Ce n’est que la femme d’un vieux marchand de chandelles qui a été assez imbécile pour épouser une fille qui avait vingt ans de moins que lui. Votre Seigneurie ne peut en retirer plus de gloire qu’elle n’en a déjà obtenu ; et quant au plaisir qui vous en revient, je crois que dame Nelly a cessé d’être nécessaire à votre satisfaction. Je serais très-fâché d’interrompre le cours de vos jouissances ; un vieux cornard doit être plus accommodant : mais Votre respectable Seigneurie étant maintenant claquemurée dans ce lieu avec d’autres sujets précieux du royaume, je ne suppose pas que dame Nelly soit admise plus long-temps à servir à vos plaisirs. » Ici le mari courroucé balbutia, abandonna le ton d’ironie qu’il avait pris, et frappant le plancher de son bâton : « Oh ! pourquoi, s’écria-t-il, ces membres qui auraient dû être rompus le jour où vous avez passé le seuil de mon honnête maison, pourquoi ne sont-ils pas libres des fers qu’ils ont si bien mérités ? je vous laisserais l’avantage de votre jeunesse et de vos armes, et voudrais que le diable prît mon âme, si, avec ce bâton, je ne tirais pas de vous une vengeance faite pour servir d’exemple à tous les ingrats et flagorneurs de courtisans, et pour faire passer en proverbe de quelle manière John Christie étrilla le galant de sa femme. — Je ne puis m’expliquer votre insolence, dit Nigel ; mais je vous la pardonne,