Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

néré, il se mit à marcher bravement le premier. Les bateliers le suivirent tout étonnés, en s’écriant : Hé, mon maître ! hé, vous feriez mieux de m’en laisser porter un bout ; » et l’un d’eux s’approcha pour lui offrir de soutenir du moins la boîte par derrière, ce qu’après une minute ou deux Nigel fut contraint d’accepter. Ses forces étaient presque épuisées lorsqu’ils arrivèrent au bateau, qui les attendait au bas des degrés du Temple suivant leur convention ; et lorsqu’il y déposa la cassette, son poids fit tellement pencher la barque qu’il pensa la faire chavirer.

« Nous aurons un aussi rude voyage, dit le batelier à son compagnon, que si nous traversions un honnête banqueroutier avec tout son bagage… Holà ! bonne femme, que venez-vous donc faire ici ? notre bateau est déjà bien assez chargé sans que nous augmentions encore notre cargaison. — Cette personne vient avec moi, dit lord Glenvarloch ; elle est pour le moment sous ma protection. — Allons, allons ; mon maître, reprit le batelier, cela n’est pas compris dans ma commission… il ne faut pas doubler ainsi ma charge… Elle peut aller par terre ; sa figure la protégera bien depuis Berwick jusqu’au Finistère. — Que vous importe que je double votre charge, si je double aussi votre salaire ? » dit Nigel, résolu à ne retirer pour rien au monde à cette malheureuse femme l’appui qu’il pouvait lui donner, d’autant plus qu’il avait déjà formé une espèce de plan que la grossièreté caractéristique des bateliers de la Tamise semblait maintenant devoir contrarier.

« De par Dieu ! il m’importe, dit le batelier à la jaquette verte. Je ne veux surcharger ma barque pour aucun prix : j’aime mon bateau autant que ma femme, et même un peu mieux. — Allons, camarade, dit l’autre, ceci n’est pas parler le vrai langage d’un batelier. Pour une bonne paie nous conduirions une sorcière dans une coquille d’œuf si elle nous le demandait : ainsi donc au large, Jack, sans plus de bavardage. »

En conséquence ils s’éloignèrent du bord, et, quoique très-chargés, ils commencèrent à descendre la rivière avec assez de rapidité.

Les barques plus légères qui les dépassaient ou les croisaient dans leur route ne manquèrent pas de les assaillir de ces plaisanteries qu’on appelait alors de l’esprit de batelier (water wit) ou de l’esprit de rivière. La laideur remarquable de mistress Martha, qui formait contraste avec la jeunesse, la belle tournure et les traits agréables de Nigel, leur en fournissait le principal sujet,