Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/329

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bre, et se sentant déjà un peu échauffé par le vin de Canaries qu’il avait bu, il ne se soucia pas non plus d’avoir recours à ce passe-temps. Il essaya ensuite de composer un mémoire au roi, dans lequel il lui exposait sa situation et lui développait tous ses griefs ; mais bientôt, blessé de l’idée que sa supplique serait reçue avec dédain, il jeta le brouillon au feu, et dans une espèce de désespoir reprit le livre qu’il avait jeté de côté.

Nigel prit plus d’intérêt à cette seconde lecture que la première ne lui en avait inspiré. Ces récits, tout bizarres et choquants qu’ils fussent pour la sensibilité, possédaient l’attrait de la magie et du surnaturel, qui éveille et fixe l’attention en remplissant l’esprit de terreurs. On y parlait beaucoup de ces actes inhumains et sanguinaires commis par des hommes qui, bravant également la nature et l’humanité, et poussés par la soif de la vengeance, l’amour de l’or ou la passion désordonnée de l’ambition, avaient osé attenter à la vie de leurs semblables. Cependant on y trouvait encore des récits plus surprenants de la manière dont ces forfaits avaient été découverts : les animaux, privés d’intelligence, avaient trahi ces terribles secrets ; les oiseaux de l’air en avaient divulgué les traces ; les éléments semblaient avoir révélé le crime qui les souillait… la terre avait cessé de porter l’assassin ; le feu, de réchauffer ses membres glacés ; l’eau, de rafraîchir ses lèvres desséchées, et l’air, de pénétrer dans ses poumons oppressés ; tout enfin servait de preuve au forfait de l’homicide. Dans d’autres circonstances, c’étaient les remords du criminel lui-même qui l’avaient poursuivi, et enfin livré à la justice ; enfin, dans d’autres récits encore, il était dit que le tombeau s’était ouvert, et que le spectre de la victime en était sorti pour demander vengeance.

La soirée s’avançait, et le livre était encore entre les mains de Nigel, lorsque la tapisserie qui était derrière lui ballota sur le mur, et l’air qui provint de ce mouvement agita la flamme des bougies à la lueur desquelles il lisait. Nigel tressaillit et se retourna avec ce trouble et cette terreur vagues auxquels son genre de lecture avait disposé son esprit, et dont on doit encore moins s’étonner à une époque où un certain degré de superstition était un des points de la croyance religieuse. Ce ne fut pas sans quelque émotion qu’il aperçut les traits pâles et effrayants et le corps décharné du vieux Traphois, qui étendait encore une fois sa main desséchée vers la table où étaient posées les armes. Convaincu par cette apparition inattendue qu’on méditait contre lui