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dès lors à soupçonner que le projet du perfide était de m’abandonner. Pendant le voyage, ses soupçons furent confirmés. Elle l’avait entendu faire remarquer à son compagnon, avec une froide et amère raillerie, le changement que ma prison et ma maladie avaient apporté dans mon teint, et elle avait entendu la réponse de l’autre, qu’il était facile de remédier à cet inconvénient par une légère teinte de rouge d’Espagne. Cette circonstance et d’autres qui s’y joignirent l’ayant préparée à une trahison, Monna Paula entra, se possédant parfaitement, et prête à me prêter tout son appui. Ses représentations calmes et raisonnées firent plus d’effet sur l’étranger que les expressions de mon désespoir ; s’il ne crut pas entièrement à notre histoire, du moins il se conduisit en homme d’honneur, qui ne veut pas profiter de l’abandon où se trouvent deux malheureuses, quel que soit leur caractère. Il cessa donc de nous persécuter par sa présence ; et non seulement il fit connaître à Monna Paula de quelle manière nous devions nous rendre à Paris, mais même il nous fournit l’argent nécessaire aux frais du voyage. Arrivée dans cette capitale, j’écrivis à maître Heriot, le fidèle correspondant de mon père ; à la réception de ma lettre, il partit pour Paris, et… Mais voici Monna Paula, avec la somme que vous désirez. Prenez-la, ma chère enfant ; servez ce jeune homme puisque vous le voulez : mais, ô Marguerite, n’en attendez aucune reconnaissance. »

Lady Hermione prit le sac d’or des mains de sa suivante, et le remit à sa jeune amie. Celle-ci se jeta dans ses bras, baisa tendrement ses joues pâles, humides encore des larmes dont les avait baignées le souvenir de tous ses malheurs ; puis, se levant brusquement et essuyant elle-même ses yeux mouillés de pleurs, elle sortit de l’appartement d’un pas ferme et rapide.



CHAPITRE XXI.

L’INTRIGANTE ET SA DUPE.


N’allez pas chercher d’un pôle à l’autre ; c’est ici que demeure l’homme dont le rasoir n’a de comparable que sa bière : ici le badaud, dans quelque sens qu’on le prenne, se fera couper par le barbier[1].
Inscription sur l’enseigne d’un cabaret tenu par un barbier.


Nous sommes dans la nécessité de transporter nos lecteurs

  1. Il y a dans le texte un jeu de mots sur l’expression cut ou couper : comme barbier, celui-ci peut couper le menton de sa pratique avec son rasoir ; et si sa pratique boit trop de bière, elle peut s’enivrer, ce qu’en anglais on exprime aussi par le verbe cut. a. m.