Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/276

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souffris beaucoup avec cette femme, et à présent encore, son grand œil noir et terne, sa haute taille, son maintien sévère et ses traits rigides et durs, me poursuivent souvent dans mon sommeil.

« Je n’étais pas destinée à être mère. Je fus très-malade, et mon rétablissement fut long et douteux. Les plus violents remèdes me furent donnés, si toutefois ce furent des remèdes. La santé me fut rendue, contre mon attente et celle de tout ce qui m’entourait ; mais quand je vis, pour la première fois, mon visage réfléchi dans une glace, je crus voir celui d’un spectre. J’avais été habituée à entendre louer à tout le monde et surtout à mon mari la beauté de mon teint : il avait entièrement perdu son coloris, et ce qu’il y a de plus extraordinaire, ce coloris ne revint jamais. J’ai remarqué que le petit nombre de personnes qui m’aperçoivent me regardent comme un fantôme… Tel fut l’effet du traitement qu’on me fit subir. Puisse Dieu pardonner à ceux qui en furent les agents ! Je remercie le ciel de pouvoir former ce vœu avec autant de sincérité qu’il y en a dans ceux que je lui adresse pour obtenir le pardon de mes fautes… On se radoucit alors un peu à mon égard, touché de compassion peut-être par mon aspect extraordinaire, qui portait le témoignage de mes souffrances, ou craignant que cette affaire n’attirât l’attention de l’évêque qui devait visiter prochainement le couvent. Un jour que je me promenais dans le jardin du monastère, comme on me l’avait permis depuis peu, un misérable vieil esclave maure, qui cultivait ce petit coin de terre, murmura ces mots lorsque je passai près de lui, mais sans cesser de tenir sa figure ridée et sa taille décrépite courbées vers la terre… « Il y a des pensées[1] près de la poterne. »

« J’entendais un peu le langage des fleurs, autrefois portée une grande perfection parmi les Maures d’Espagne ; mais quand je l’aurais ignoré, un captif devine aisément un mot qui lui promet la liberté. Avec tout l’empressement que permettait la plus grande circonspection, car je pouvais être remarquée des croisées par l’abbesse ou quelques-unes des sœurs, je me hâtai de me rendre à la poterne. Elle était exactement fermée comme à l’ordinaire ; mais ayant toussé légèrement, on me répondit de l’autre côté. Grand Dieu ! c’était la voix de mon époux que j’entendais ! il dit :

  1. Heart’s ease (pensée) signifie littéralement joies du cœur, mais c’est le nom anglais de la fleur de pensée. a. m.