Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/272

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l’avez été jusqu’ici ; nous allâmes, dis-je, à Madrid solliciter la protection du roi, sans laquelle, disait-on, nous ne pouvions songer à obtenir justice contre une association riche et puissante.

« Notre résidence dans la capitale de l’Espagne se prolongea pendant des semaines, et enfin pendant des mois. Quant à moi, la douleur que m’avait d’abord causée la perte d’un père, bon à la vérité, mais froid et peu communicatif, s’étant un peu affaiblie, je m’inquiétais fort peu que notre procès nous retînt à Madrid, fût-ce même pour toujours. Ma mère s’y plaisait, et me laissa à moi-même plus de liberté que je n’en avais eu jusque-là. Elle avait trouvé des parents parmi les officiers irlandais et écossais qui étaient au service d’Espagne, où quelques-uns étaient arrivés à des grades éminents. Leurs femmes et leurs filles devinrent nos amies et nos compagnes, et j’eus ainsi l’occasion de m’exercer continuellement dans la langue natale de ma mère, que j’avais apprise dès l’enfance. Par degrés ma mère, qui était portée à la mélancolie, et ne jouissait pas d’une très-bonne santé, consentit, par tendresse pour moi, à me permettre d’aller quelquefois dans le monde sans elle avec des dames auxquelles elle croyait pouvoir me confier, et surtout avec la femme d’un officier général, dont la faiblesse ou la fausseté fut la cause primitive de mes malheurs. J’étais, je le répète, Marguerite, aussi gaie, aussi légère que vous l’étiez dernièrement, et, comme vous, mon attention se fixa sur un seul objet, et tous mes sentiments vinrent bientôt se réunir en un seul.

« Celui qui le fit naître était un officier anglais, jeune, noble, beau, et rempli d’agréments. Jusqu’à présent nos destinées sont presque semblables : fasse le ciel que le parallèle se termine ici ! Cet homme, si noble, si brave, doué d’un extérieur si gracieux, ou plutôt ce scélérat, Marguerite, car c’est là le seul nom qui lui convienne, me parla d’amour et je l’écoutai : comment aurais-je pu soupçonner sa sincérité ? S’il était riche et d’une naissance illustre n’étais-je pas aussi une noble et opulente héritière ! Il est vrai qu’il ne connaissait pas l’étendue de la fortune de mon père, et que je ne lui communiquai pas (car je ne sais pas si, à cette époque, j’en étais moi-même instruite) la circonstance importante que la plus grande partie de nos biens était hors de l’atteinte d’un pouvoir arbitraire, et ne dépendait pas du jugement d’un tribunal corrompu. Mon amant pouvait partager l’opinion que ma mère avait désiré accréditer dans le monde, que toute notre fortune