Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/241

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ciens… Champion déterminé du jardin de Paris[1] ; il a choisi une enseigne analogue à ses habitudes, et, par état, il donne à boire à ceux qui ont soif, afin de pouvoir lui-même se désaltérer sans payer, et se faire payer par ceux qu’il désaltère… Entrons par la porte toujours ouverte de ce second Axylus. »

En parlant ainsi, ils entrèrent dans cette taverne démantelée, qui cependant avait des dimensions plus vastes et était en moins mauvais état que les autres maisons du voisinage. On y voyait courir çà et là deux ou trois garçons à figure hagarde et dont les yeux, comme ceux du hibou, ne semblaient faits que pour l’obscurité de la nuit, temps où toutes les autres créatures se livrent au sommeil : blessés de l’éclat du grand jour, ils avaient l’air stupide et à moitié endormis. Guidés par un de ces Ganymèdes clignotants, les nouveaux venus entrèrent dans une chambre où les faibles rayons du soleil étaient presque entièrement éclipsés par le volume d’épaisse fumée de tabac qui s’échappait des pipes de la compagnie, et du sein des nuages qui enveloppaient le sanctuaire, sortait une voix qui chantait cette vieille et stupide chanson :


Le vieux sire ou le roi Simon,
Le nez couleur de Malvoisie,
Le bas tombant sur le talon,
Chantait : Égayons notre vie !


Le duc Hildebrod, qui daignait chanter lui-même ce refrain à ses sujets dévoués, était un vieux bonhomme d’une corpulence monstrueuse, qui n’avait qu’un œil, et dont le nez témoignait qu’il buvait souvent et beaucoup, et du plus fort. Il portait une veste de pluche, couleur de mûre, couverte de taches de liqueurs, et fort endommagée des injures du temps ; elle était déboutonnée par le bas pour la commodité de son énorme ventre. Derrière lui était un boule-dogue favori, qui n’avait non plus qu’un œil : sa grosse tête ronde et son embonpoint excessif lui donnaient avec son maître une ressemblance burlesque.

Les conseillers chéris qui entouraient le trône ducal, et l’encensaient de vapeur de tabac, tout en faisant raison à leur maître avec de l’ale trouble et terreuse, et en répétant ses refrains bachiques, étaient les dignes satrapes d’un tel Soudan. La veste de buffle, le large ceinturon et la longue épée de l’un d’eux, faisaient reconnaître en lui un soldat des Pays-Bas ; et son air important et querelleur, son effronterie naturelle, augmentée encore par l’i-

  1. Jardin de Londres où la reine Élisabeth assistait à des combats d’ours. a. m.