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meurs. Enfin ils arrivèrent, et lord Dalgarno se fut bientôt procuré deux tabourets sur le théâtre pour lui et son compagnon ; là ils se trouvèrent assis au milieu d’autres jeunes gens de leur rang, qui venaient étaler leurs costumes élégants et leurs manières à la mode, tout en critiquant la pièce pendant la représentation : ils formaient ainsi à la fois une partie bien ostensible du spectacle, et une portion considérable de l’auditoire. Nigel Olifaunt était trop profondément absorbé par le puissant intérêt que lui inspirait la pièce pour jouer son rôle comme l’aurait exigé la place qu’il occupait. Il était sous le charme de cet enchanteur qui, dans l’étroite enceinte d’une misérable baraque de bois, avait renfermé les longues guerres des York et des Lancastre, forçant les héros de ces deux maisons rivales à paraître sur la scène avec leur langage et leurs manières, comme si les tombeaux eussent relâché les morts pour l’amusement et l’instruction des vivants. Burbage, qui fut estimé le meilleur Richard jusqu’à ce que Garrick eût paru, joua le rôle de l’usurpateur avec tant de vérité et d’énergie, qu’au moment où la bataille de Bosworth se termine par sa mort, la fiction et la réalité se livraient un violent combat dans l’esprit de lord Glenvarloch. Il dut faire un effort sur lui-même pour s’arracher à ces illusions, et comprendre son compagnon qui lui disait que le roi Richard souperait avec eux ce soir même à la Sirène.

Ils furent rejoints par un petit nombre des gentilshommes avec qui ils avaient dîné, et qu’ils recrutèrent d’autant plus facilement qu’ils avaient invité deux ou trois des poètes ou beaux esprits des plus distingués du temps, lesquels ne manquaient presque jamais de se rendre au théâtre de la Fortune, et n’étaient en général que trop disposés à terminer une journée d’amusements par une nuit de plaisirs. Toute la compagnie se rendit donc à la taverne de la Sirène ; et au milieu de fréquentes libations de vin de Canaries, de la gaieté qu’elles excitaient, et des saillies étincelantes, ils semblaient réaliser le tableau que trace un des contemporains de Ben Johnson, quand il rappelle au poète


L’orgueil de ces lyriques fêtes,
Où les pampres ornaient nos têtes,
Où l’ivresse, enflammant notre esprit affaissé,
N’était point parmi nous un délire insensé ;
Où chacun de tes vers en chaleur, en finesse,
Surpassait les mets savoureux
Et le nectar franc, généreux.
Qui redoublaient notre allégresse.