Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tres de livres dont les rangs, égaux et sans vide sur les tablettes, me firent soupçonner que ce n’étaient pas les productions les plus faciles à vendre de l’établissement, je ne pouvais me défendre d’une sainte frayeur : quel danger ne courais-je point d’interrompre quelque barde inspiré dans un accès de fureur poétique, ou, ce qui pouvait être plus redoutable encore, une troupe de critiques occupés à dépecer le gibier dont ils venaient de s’emparer ! Dans une telle supposition, j’éprouvais d’avance cette horreur dont se sentent pénétrer les montagnards illuminés quand, par suite du don de divination, ils sont forcés de contempler des choses invisibles aux yeux des mortels, ou quand, pour me servir de l’expression de Collins,


Impassibles, souvent comme atteints de démence,
Ils contemplent d’un œil ou stupide ou hagard
La troupe des démons qui, dans le vide immense,
À leurs œuvres sans fin travaillent à l’écart.


Cependant, l’impulsion irrésistible d’une curiosité indéfinissable m’entraînait toujours à travers cette enfilade de pièces obscures. Enfin, semblable au joaillier de Delhi, dans la maison du magicien Bennascar, j’atteignis une salle voûtée, consacrée au secret et au silence : là, j’aperçus, assise à côté d’une lampe et occupée à lire une épreuve, la personne, ou pour mieux dire, le spectre de l’auteur de Waverley ! Vous ne serez pas surpris de l’instinct filial qui me fit reconnaître au premier coup d’œil les traits de cette vénérable apparition, et qui me fit plier le genou devant elle en lui adressant cette salutation classique : « Salve, magne parens ! » La vision cependant coupa court à mes politesses, en me montrant un siège et en m’apprenant que ma visite n’était pas inattendue, et qu’on avait quelque chose à me dire.

Je m’assis avec une humble soumission, et j’essayai d’examiner les traits de l’être avec lequel je me trouvais si inopinément en tête-à-tête. Mais sur ce point, je pourrai difficilement satisfaire Votre Révérence ; car, outre l’obscurité de l’appartement et l’agitation nerveuse que j’éprouvais, je me trouvais comme accablé d’un sentiment de respect filial qui m’empêchait de remarquer et de retenir ce que sans doute le personnage qui était devant moi désirait me cacher. D’ailleurs, il était tellement enveloppé et affublé, soit d’un manteau, d’une robe de chambre, ou de quelque vêtement flottant du même genre, qu’on aurait pu lui appliquer ces vers de Spencer :