Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/156

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Le vieux comte garda le silence un moment, et parut rêver aux souvenirs que le voisinage des châteaux avait fait naître en lui.

« Lord Dalgarno suit-il la cour à New-Market la semaine prochaine ? » demanda Heriot, comme pour changer de conversation.

« Je crois qu’il en a l’intention, » répondit lord Huntinglen ; puis il retomba dans sa rêverie pendant une minute ou deux ; et s’adressant ensuite un peu brusquement à Nigel : « Mon jeune ami, lui dit-il, quand vous rentrerez en possession de votre héritage, ce qui, je me flatte, ne sera pas long, j’espère que vous n’augmenterez pas la foule de nos courtisans oisifs, mais que vous résiderez dans vos domaines paternels, que vous prendrez soin de vos anciens vassaux, servirez de secours et d’appui à vos parents moins favorisés de la fortune, protégerez le pauvre contre l’oppression subalterne ; en un mot, que vous ferez ce que faisaient nos ancêtres avec moins de lumières et de moyens que nous. — Et cependant celui qui conseille de rester sur ses terres, ajouta Heriot, fut constamment l’ornement de la cour. — Oui, j’en conviens ; c’est un vieux courtisan qui vous parle, reprit le comte, et le premier de la famille à qui on ait pu donner ce nom. Ma barbe grise tombe sur une fraise de batiste et sur un pourpoint de soie ; celle de mon père descendait sur un justaucorps de peau de buffle et sur une cuirasse. Je ne voudrais pas voir revenir ces jours de combats ; mais j’aimerais à faire retentir encore une fois les chênes de mes vieux bois de Dalgarno du cri de chasse, du son du cor et des aboiements des chiens ; j’aimerais à entendre résonner dans la vieille salle de pierre les joyeuses acclamations de mes vassaux et de mes tenants, pendant que la bouteille passerait gaiement à la ronde parmi eux. J’aimerais à voir le large Tay encore une fois avant de mourir. La Tamise elle-même, dans mon opinion, ne peut lui être comparée. — À coup sûr, milord, répliqua l’orfèvre, tout cela serait bien facile à faire : il ne faudrait qu’un moment de résolution et un voyage de quelques jours pour vous transporter où vous désirez être… Qui peut vous en empêcher ? — L’habitude, maître George, l’habitude, répondit le comte : pour les jeunes gens, elle est semblable à un réseau de soie léger à porter et facile à rompre, mais elle pèse sur nos membres vieillis, comme si le temps la transformait en une chaîne de fer. N’aller en Écosse que pour peu de temps, ce serait un voyage inutile ; et, en songeant à m’y fixer, je ne puis supporter la pensée de quitter mon vieux maître auquel je m’imagine quelquefois