Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/109

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« Je ne rougis pas de mon état, sir Mungo, dit l’honnête bourgeois ; on dit qu’un bon cuisinier doit goûter ses plats, et il me semble qu’il ne serait pas juste que moi qui ai fourni de l’argenterie à la moitié du royaume j’eusse mon buffet couvert d’étain. »

Le ministre ayant béni la table, laissa aux convives la liberté d’attaquer les plats qui étaient devant eux, et le repas se passa dans un silence très-grave jusqu’au moment où la tante Judith, pour mieux recommander son chapon, assura qu’il était d’une espèce particulière et bien connue, qu’elle avait elle-même apportée d’Écosse.

« Alors, ainsi que plusieurs de ses compatriotes, madame, » répondit l’impitoyable sir Mungo, non sans jeter un regard sur son hôte, « on peut dire qu’il s’est bien engraissé en Angleterre. — Il y en a certains autres, repartit maître Heriot, auxquels tout le lard de l’Angleterre n’a pu rendre ce service. »

Sir Mungo fit la grimace et rougit ; le reste de la compagnie se mit à rire, et le satirique chevalier, qui avait de bonnes raisons pour ne pas se brouiller avec maître George, garda le silence pendant le reste du dîner. Les viandes furent enlevées pour faire place au dessert, qui fut accompagné des vins les plus précieux et les plus exquis. Nigel se dit à lui-même que les repas des riches bourgmestres auxquels il avait assisté en pays étranger étaient complètement éclipsés par l’hospitalité d’un citoyen de Londres ; et cependant rien n’y sentait l’ostentation, rien n’y était en désaccord avec le rang d’un bourgeois opulent.

Pendant le dîner, Nigel, suivant la politesse du temps, adressa la parole principalement à mistress Judith, dans laquelle il trouva une femme douée de ce jugement ferme et sain qu’on rencontre souvent en Écosse. Elle lui parut plus portée au puritanisme que n’était son frère George (car tel était le degré de parenté existant entre eux, quoiqu’il l’appelât toujours sa tante) : elle semblait du reste tendrement attachée à ce frère, et faisait de son bien-être le principal objet de ses soins. Cependant, comme la conversation de la bonne dame n’était ni très-gaie ni très-amusante, le jeune lord s’adressa naturellement ensuite à la jolie fille de l’horloger, qui était à sa gauche ; mais il ne put réussir à en arracher autre chose que des monosyllabes pour réponse, et, en retour de tous les compliments que la galanterie put lui suggérer, le jeune lord n’obtint de sa jolie bouche qu’un sourire si faible et si fugitif qu’il pouvait être mis en doute. Nigel commençait à s’ennuyer de la