Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/97

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songe qu’elle avait forgé à lui et à son père ; mais la matrone accusée ne chercha point sa réponse.

« Sur sa parole, dit-elle, elle avait cru qu’il était temps de renvoyer M. Mertoun à la maison pour y préparer des bandages lorsqu’elle avait vu, de ses deux yeux, Mordaunt descendre le précipice comme un chat sauvage… on devait croire que des os cassés seraient le résultat d’une telle entreprise ; et c’eût été alors un grand bonheur de trouver des bandages prêts… Et, sur sa foi, elle avait bien pu dire à Mordaunt que son père allait mal, et qu’il avait les joues pâles… pâles, avait-elle dit, et elle voulait mourir si ce n’était pas là sa propre expression… C’était une chose que personne n’aurait pu dire autrement. — Mais, Swertha, » répliqua Mordaunt aussitôt que cette prolixe défense lui laissa le temps de placer un mot, « comment se faisait-il que vous, qui auriez dû rester ici à faire votre ménage ou à filer, vous fussiez si matin dans le sentier d’Érick, pour prendre cet inutile souci de mon père et de moi ? Et que contient ce paquet, Swertha ? car je crains fort que vous n’ayez transgressé les ordres de mon père, et pillé aussi les débris du naufrage. — Le ciel vous conserve votre bonne mine, et saint Ronald vous bénisse ! » répliqua Swertha d’un ton qui tenait le milieu entre l’adulation et la plaisanterie ; « mais voudriez-vous empêcher une pauvre femme de couvrir son corps, et de ramasser pour cela quelques hardes que les vagues ont apportées sur le sable ?… Bah ! maître Mordaunt, un vaisseau naufragé est un spectacle à tirer le ministre même de sa chaire au milieu de son sermon ; à plus forte raison une pauvre femme ignorante doit-elle quitter balais et quenouilles. Et d’ailleurs je n’ai pas attrapé grand’chose aujourd’hui… seulement quelques guenilles de batiste ; un morceau ou deux de gros drap, et d’autres petites choses… Les forts et les alertes ont tout dans ce monde. — Oui, Swertha ; et c’est d’autant plus fâcheux, que vous aurez votre part entière de punition en ce monde ou dans l’autre, pour avoir volé de pauvres marins. — Bah ! mon jeune ami, qui voudrait punir une vieille femme comme moi pour une telle peccadille ?… On dit bien du mal du comte Patrick, mais c’était un ami du rivage, et il fit de sages lois contre quiconque irait secourir les vaisseaux prêts à se briser sur les rochers… Quant aux marins, j’ai entendu dire à Bryce le colporteur qu’ils perdent tout droit sur leurs marchandises du moment que la quille touche le sable ; et, d’ailleurs, ils sont morts et trépassés, les pauvres diables… Morts et trépassés, ils ne songent